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ouvrages qu’il avait mis sur le métier; les méditations philosophiques ri religieuses étaient toujours son repos et les seules jouissances de sa vie incomplète. « Au milieu de ces occupations que m’imposait le patriotisme, je ne laissais pas, écrit-il à de Saussure, de me retirer de temps en temps dans mon cabinet pour y méditer sur des sujets philosophiques, et quand je vous parle de mon cabinet, je vous parle aussi de la campagne, qui était toujours pour moi un grand cabinet où je rêvais plus à mon aise encore. Je promenais mes rêves dans les jardins, dans les prairies, sur les grands chemins, et je ne rentrais point chez moi sans avoir composé quelques paragraphes ou même quelques pages de méditations que j’allais dicter à mon secrétaire. »

C’est ainsi que la Contemplation de la Nature, la Palingénésie et les Recherches sur les preuves du Christianisme ont été composées en partie pendant les cinq années que durèrent les troubles populaires de Genève.

De tous les ouvrages spéculatifs de Bonnet, la Contemplation de la Nature est celui qui a le mieux tenu contre les révolutions inévitables de la curiosité et de la science. Le naturaliste et le philosophe y ont réuni et présenté, sous une forme dépouillée d’appareil scientifique et intelligible à tous les esprits, l’un ses recherches et ses découvertes, ses théories et ses hypothèses physiologiques, l’autre ses systèmes sur l’origine de nos idées, le jeu des facultés, la destinée de tous les êtres de la création, enfin l’avenir de nos âmes. Si Bonnet avait voulu exprimer par le titre de son livre toute sa pensée, ou, si l’on veut, toute son ambition, il l’aurait appelé Esprit de la Nature, comme Montesquieu avait appelé le sien Esprit des Lois. On a remarqué que la plupart des conceptions du naturaliste métaphysicien se retrouvent en germe chez ses devanciers, obscurément entrevues ou ébauchées à peine, mais qu’il les a rendues siennes en toute propriété par l’étendue et la précision des développemens que sa méditation leur a donnés. Avant lui, l’idée d’une échelle continue des êtres s’était présentée à l’esprit d’Aristote, de Leibnitz, de Buffon, de Linné; mais avant lui personne n’avait entrepris de construire l’immense pyramide où s’étagent, enchaînés les uns aux autres, tous les ordres de la création, tous les règnes de la nature, liés par des transitions dont les polypes d’eau douce, observés par Trembley, et les vers observés par Bonnet lui-même, sont un échantillon suffisant pour faire deviner l’essence du système entier. C’est ainsi encore que Réaumur l’avait mis sur la trace de sa première découverte sur la reproduction des pucerons sans mariage, qui le conduisit à édifier le système de L’emboîtement des germes, dont Malebranche s’était montré le partisan. De même encore ce fut évidemment l’Esprit des Lois qui lui inspira le dessein de son monument de la Contemplation, tel