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du moins qu’il l’a exécuté. Et ce qui mérite surtout d’être remarqué, c’est que, en tenant compte de la différence des sujets, et en supposant admis les systèmes partiels par lesquels Bonnet s’expliquait la génération et la distribution des êtres dans l’univers, son système général est bien plus solidement et sérieusement construit que celui de Montesquieu. Comme architecte, Bonnet est supérieur au président. En effet, si les traits de lumière, les profondes observations, les fortes pensées, les doctrines élevées, généreuses, sont semées à profusion dans l’Esprit des Lois, et en font un ouvrage immortel, quelle intelligence est fortement saisie par cet enchaînement de chapitres, dont la nécessité vous échappe, et qui vous suivent dans votre lecture comme un poids rendu à chaque pas plus lourd, plus inquiétant, oserai-je dire plus importun? Le voyageur qui s’approche d’une ville dans les ombres d’une soirée obscure cherche en vain à se représenter, par les lumières qui brillent éparses aux fenêtres des maisons, l’étendue et la configuration de la cité.

Chez Bonnet, tout dans les parties de sa vaste synthèse est nettement agencé; l’œil, loin de s’égarer, remonte si facilement et par une série d’objets si sensibles de la base au sommet de l’édifice, qu’on a regret de savoir que le dernier mot de la science n’ait pas été celui-là. Ce tableau déroulé par une main religieuse, commençant par Dieu qui pourvoit chaque être sorti de ses mains des élémens de son existence présente et de son existence avenir, et couronné par une promotion universelle des âmes ressuscitées avec la mémoire du passé, — ce tableau de l’œuvre divine où nous tenons notre place n’a rien qui éveille d’abord l’inquiétude et la répugnance; le matérialisme et le fatalisme qui s’y montrent ont un aspect de candeur et de spiritualisme parfaits. Qu’importe en effet que l’âme ne soit pas d’essence spirituelle, pourvu qu’elle ne meure pas et possède en elle-même les élémens de résurrections sans fin ? La philosophie ne saurait accepter sans contrôle les conséquences logiques d’une telle doctrine, mais les âmes qui se sentent édifiées par ces belles erreurs en font leur profit, surtout quand un cœur religieux comme celui de Bonnet les épure et les sanctifie.

L’univers physique occupe la grande place dans l’ouvrage; les lois qui le régissent, les élémens qui le composent dans l’harmonieuse variété de leurs phénomènes, les êtres de tout ordre qui l’habitent, et les modifications infinies de la matière créée, tout ce grand ensemble se déroule sous la main du naturaliste, qui sur chaque point reproduit consciencieusement les découvertes de la science. C’est cette partie de la Contemplation qui fut surtout admirée des contemporains et qui a maintenu la popularité du livre jusqu’au moment, si récent encore, où, les sciences physiques ayant pris un développement immense, le tableau de Bonnet s’est trouvé incomplet. Son