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œuvre alors a été reprise avec toutes les ressources de nos connaissances modernes. Le Cosmos a remplacé la Contemplation ; mais le livre de Bonnet n’en conserve pas moins dans l’histoire littéraire sa date et une place honorable.

Dirons-nous que dans ses descriptions de naturaliste, Bonnet est grand peintre et grand poète ? Ce serait donner une idée bien inexacte du genre particulier de talent qu’il déploie dans cette partie de ses écrits ; ce serait surtout l’exposer à une comparaison par trop dangereuse avec Buffon et Bernardin de Saint-Pierre, dont, comme écrivain, il n’a certainement ni la puissance, ni l’éclat, ni la couleur, ni le charme, admirablement clair, facile et coulant, son style est en général prolixe, trop fleuri, un peu diffus, et manque de nerf. Comme l’auteur des Études, quelquefois aussi il s’approche d’un écueil que lui avait signalé le président de Brosses : le trop d’admiration dans les récits, et la disposition à solenniser les petites merveilles. Il semble par exemple tout près d’attribuer à ses chenilles l’intelligence et les desseins que d’autres écrivains naturalistes accordaient de son temps aux animaux industrieux avec un enthousiasme qui révoltait Billion ; mais ce sont de pures licences de langage et d’imagination : sur le fond de la question, il pense en philosophe et s’explique en observateur[1]. Comme Buffon encore et séduit par l’éclat de sa grande manière, il aime la majesté, mais il la conçoit trop riche, trop ornée, et ne réussit jamais mieux à peindre en poète que lorsqu’il emprunte les couleurs mêmes de son illustre rival, par exemple lorsqu’il raconte d’après lui les évolutions des grues voyageant de nuit, en phalange, un chef à leur tête, qui fait entendre fréquemment une voix de réclame, pour avertir de la route qu’il tient, ou dans leurs haltes à terre se gardant militairement. « La troupe dort la tête cachée sous l’aile, mais le chef veille la tête haute, etc. » De son propre fonds Bonnet est essentiellement un historien de la nature, et tel doit être le naturaliste. Ce qu’on lui demande, c’est de raconter avec précision et fidélité le petit drame des existences que sa curiosité observe. S’il a vraiment de l’imagination, la poésie vient alors d’elle-même sous sa plume ; son imagination intéressée intéresse la nôtre. Il y a beaucoup de ce mérite dans Bonnet, et particulièrement dans son Insectologie, et il a fait par là autant

  1. « Ce ne serait pas, dit-il quelque part, du but que nous découvrons dans l’ouvrage d’un animal industrieux que je voudrais partir pour rendre raison de cet ouvrage. Je ne dirais pas : L’araignée tend une toile pour prendre des mouches ; mais je dirais: L’araignée prend des mouches parce qu’elle tend une toile, et elle tend une toile parce qu’elle a besoin de filer. Le but n’en est pas moins certain, moins évident ; seulement ce n’est pas l’animal qui se l’est proposé, c’est l’auteur de l’animal. Par cette manière philosophique de raisonner, que perdrait la théologie actuelle ? N’y gagnerait-elle pas au contraire plus d’exactitude, plus de précision ? Raisonnons donc sur les opérations des animaux comme sur leur structure. »