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habillé en Buridan ; il portait une hallebarde à la main et des pistolets d’arçon à la ceinture.

— Général Robin, lui dit le lieutenant, vous avez là une belle compagnie ; bonne tenue, troupes d’élite. Il serait temps de les mener au feu pour les amuser.

Et par toute sorte de flatteries il arriva à lui persuader qu’il était urgent de tenter une reconnaissance dans les bois de Vielles, à deux lieues de Lamanosc.

— Comme qui dirait une razzia, répondit Robin. En avant le cabaret de la Mort !

Robin partit avec ses fidèles ; le lieutenant l’accompagna jusqu’à la sortie du village. — Si tu étais forcé de te replier sur Lamanosc, lui dit-il, souviens-toi de revenir par cette route ; toutes les autres issues seront fermées.

Le caporal haussa les épaules. — Me replier ? Et pourquoi ? Robin, toujours en avant !

— Enfin les voilà partis, dit M. Cazalis. Maintenant, sergent Tistet, place dix soldats au rempart, sous les ordres d’un homme sûr, Cayolis, Espérit ou Cabantoux, et si jamais ces pèlerins veulent rentrer, qu’on les reçoive à coups de fusil. Enfin nous voilà libres ! Sergent Tistet, ces vingt-cinq hommes de moins dans Lamanosc, c’est comme s’il m’arrivait un renfort de deux cents vieux marins.

— Et les conseillers municipaux, dit Tistet, qu’en faisons-nous ? Faut-il en arrêter une demi-douzaine ? Dites un mot, et ce ne sera pas long. Entendez ces cris ! Ils vont tout casser !

— Tant mieux, dit le lieutenant, qu’ils discutent à l’aise, et qu’ils ne viennent pas se jeter dans nos jambes.

— Ah ! disait le sergent, ce serait si simple d’éteindre les lampes et de fermer les-portes de cette mairie !

En arrière du pont qui défendait Lamanosc du côté des villages ennemis, le lieutenant fit construire une barricade très solide, crénelée, et dominée par une maison fortifiée. On éleva des retranchemens à la brèche du nord, ainsi qu’à l’angle du cimetière, et deux compagnies de réserve furent laissées sur la place de l’église avec ordre de se porter à la première alerte sur les points menacés. Comme la route des villages de la plaine vient aboutir à la rivière, toutes les forces de la défense furent concentrées à la barricade du pont ; on y travailla toute la nuit, et deux chemins couverts furent creusés en avant pour protéger les sorties. M. Cazalis avait mis sur pied tout Lamanosc ; les vieillards et les enfans charriaient des pierres et du sable à la barricade ; on employait les femmes à fondre des balles et à mouler des cartouches. Le lieutenant activait tous ces préparatifs de guerre avec une ardeur extrême. Il était rajeuni de vingt ans.