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en suivant les ravins et les vignes, où la cavalerie ne pouvait s’engager, ils espéraient arriver à Lamanosc avant les gendarmes. Le maire s’aperçut de ce mouvement : il éperonna sa jument, et la fit sauter dans le bois, le long du sentier où défilait l’arrière-garde de Sambin. Il les poursuivait comme des fuyards, et, imitant le cri de rappel des bergers, il leur faisait des signes de moquerie pour les inviter à venir prendre du sel dans sa main, comme des moutons. Alors ces jeunes gens, irrités par ces provocations, revinrent sur le chemin. Sambin les remit en ligne, et, après les avoir harangués, il s’avança seul en avant de la troupe, le fusil en bandoulière, un mouchoir blanc à la main. Lorsqu’il fut à deux pas du maréchal-des-logis, il le salua militairement et lui dit en son plus beau français :

— Monsieur le capitaine, méfiez-vous de Marius ; il vous aura menti contre nous ; c’est un bavard : il est de Lamanosc. Nous allons nous venger de la trahison de sa commune ; mais nous ne sommes pas contre le gouvernement. Laissez-nous donc passer. Vive le roi ! mort à Tirart !

— As-tu fini, grand avocat ? dit le maréchal-des-logis.

— Oui, dit Sambin. Vive le roi ! En avant les amis !

— En avant la prison ! cria le gendarme, et, saisissant Sambin par son écharpe rose, il l’enleva d’une main et le fixa à plat-ventre en travers de sa selle. — Cavaliers, sabre au poing !

Alors l’escouade s’ébranla ; en deux temps de galop, la colonne fut rompue et dispersée ; les soldats de Sambin s’enfuirent de tous côtés, emportés par cette terreur panique connue dans le pays sous le nom de pétachine d’Avignon. Le maire Tirart partit ventre à terre et porta la nouvelle de cette victoire à Lamanosc ; il fut très mal accueilli. Les jeunes gens, qui avaient envie de guerroyer, voulaient se porter en colonnes volantes sur les villages ennemis et les occuper militairement, et M. Cazalis, quoiqu’il lut au fond très humain, ne put s’empêcher de dire : — C’est tout de même honteux que tout ceci finisse sans brûler une cartouche. Je ne suis pas content du maire. De quel droit est-il allé chercher ses gendarmes ? Il n’a donc pas vu ma barricade ?

Et Tistet, renchérissant comme toujours sur le dire de son officier, ajoutait gravement : — Quel malheur ! sans sortir de la place, nous en aurions bien couché deux ou trois cents sur le carreau ; c’eût été un plaisir. On vous les aurait hachés comme chair à pâtée.

Espérit, ravi de ce dénoûment pacifique, avait déjà bâté l’ânesse. — Partez, partez, dit-il à M. Cazalis ; on doit être inquiet à la Pioline. Cabantoux va vous conduire.

En arrivant à la Pioline, le lieutenant trouva la terrasse