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pars, moi et ma nièce, dit-elle, et que vous restez ici, vous et la Zounet ; est-ce clair ?

— Ah ! vous partez ? Et pour quel pays, belles dames ?

— Pour Valence, vieux fou.

— Valence ? Ah ! très bien. Cette ville me plaît fort ; vins exquis, belle cathédrale, bonne société, des gens aimables et sûrs ; vous connaissez le proverbe :

Dauphinois
Fin et courtois.


Et vous reviendrez ?

— Quand il nous plaira, si nous revenons jamais.

— Encore mieux ! A merveille, mais du diable si je comprends rien à ce voyage. Ma tante de Valence serait-elle malade ?

— Il n’y a de malade que vous, s’écria la tante, et moi je suis bien bonne de vous répondre. Allez vous coucher. Eh ! quoi ! vous n’êtes pas encore au lit, malheureux ? Vous êtes ivre de sommeil. La Zounet, prends ton maître par le bras, il est moitié mort. Doublez-lui les couvertures, et qu’on lui bassine le lit avec du sucre. Adieu, adieu.

Cascayot était déjà sur son siège, le fouet à la main. — Allons, Sabine, embrasse ton père, et vivement. Nous n’avons pas une minute à perdre. Bien, bien ! assez, finissez-en avec toutes vos tendresses. Adieu, adieu, et fouette cocher.

La voiture partit au grand trot. — Tout ça s’arrangera, murmurait le lieutenant.

Il avait surpris des larmes dans les yeux de sa fille, mais, ne pouvant s’expliquer ce qui se passait, il se laissa mettre au lit tout ensommeillé, brisé de fatigue, moulu, courbaturé, perclus.


VI.

Quand on part de la Pioline, on peut choisir entre deux routes pour gagner le chemin de Valence, la route connue sous le nom du Grand-Félat et celle du Chemin des Sables. Comme la carriole était très chargée, Cascayot s’était avisé de prendre le Chemin des Sables, qui passe pour le meilleur. Cette belle route est coupée tous les dix pas par des rochers et des fondrières ; la voiture avançait lentement, et, dans son impatience, la tante Blandine cherchait noise à Cascayot, sous le prétexte que la route du Félat était la seule bonne, la seule praticable, qu’elle était excellente, unie comme la main, et qu’on y pouvait courir en carrosse. Si on avait pris la route du