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nouvelles, disait-elle ; maintenant que nous sommes rassurées, nous allons repartir bien contentes. Il le faut ; adieu. Nous vous quittons, nous sommes si pressées !

— Vous avez bien loisir, répondit Espérit ; vos bêtes sont à l’avoine. Je vais leur verser du vin dans le son, et je vous garantis qu’elles vous regagneront le temps perdu. Allons, entrez, c’est le bon moment ; par ici, doucement.

Il la poussait toujours vers la porte à coups d’épaule ; la tante résistait. — C’est impossible, mon bon Espérit. Vrai ! c’est impossible. Adieu, adieu ! soigne-le bien. Nous ne pouvons pas entrer ; nos minutes sont comptées !

— Or ça, dit Espérit en la regardant en face avec surprise et colère, auriez-vous le cœur de vous en aller sans l’avoir vu ? Oui ou non, dites-le. Moi, je marche devant pour vous montrer le chemin. Vienne qui voudra.

— Allons, suivons-le, dit la tante ; il le faut bien ; ces paysans sont si susceptibles !

Dans le corridor, elle prit à part Sabine et lui dit vivement :

— Nous ne faisons qu’entrer et sortir, entendez-vous ? Vous m’avez engagée dans une visite ridicule. Tirons-nous de ce mauvais pas le plus tôt possible. Et vous, pas un mot, je vous le défends ! Surtout restez derrière moi.

Espérit entr’ouvrit la porte, et, prenant Mlle Blandine par la main, il l’introduisit dans la chambre du malade. Sur un signe de sa tante, Sabine s’arrêta à l’entrée. — Oh ! vous pouvez vous approcher, lui dit Espérit ; vous ne lui faites pas peur.

Un jour faible éclairait cette pièce ; aux deux fenêtres, on avait attaché des couvertures, et devant la porte flottait une vieille tapisserie tournée au sud pour amortir l’éclat du soleil. Marcel dormait paisiblement ; Damianet était assis auprès de son frère, à la tête du lit, sur un escabeau, une fiole à la main. — Qu’on ne le réveille pas, dit tante Blandine ; silence, Damianet !

Elle s’approcha très près de Marcel pour écouter sa respiration. — Tout va bien, dit-elle après lui avoir tâté le pouls. La peau est excellente. Je réponds de lui, si l’on est très prudent. Il est sauvé. Et maintenant adieu, mes amis ; soignez-le bien, et surtout pas de bruit. Adieu, adieu ; partons vite, nous sommes trop de monde ici.

Elle allait se retirer, lorsqu’elle se sentit tirer par la robe : c’était Damianet qui lui offrait en grande cérémonie une place sur l’escabeau. La tante refusa ; elle était décidée à ne pas s’asseoir. Damianet insistait par politesse, et, dans ce débat, la fiole qu’il tenait à la main lui échappa et se brisa sur la table. Marcel se réveilla en