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sursaut. — Il n’y a pas grand mal, dit Damianet ; voici une autre fiole sur la table avec la même drogue.

— Quel est ce remède ? dit la tante en saisissant la bouteille et la portant à ses lèvres. Cela ne vaut rien ; jetez ça par la fenêtre. Vous n’entendez rien aux malades. Il fallait me faire appeler. Vite, mon sac. Sabine, arrive, arrive ! Que fais-tu là-bas ? Mon sac de crin, te dis-je ! Fouille au fond. Les petites poudres de la boîte verte, sous les petits paquets rouges ! Et cet oreiller, qui l’a placé ainsi ? Peut-on laisser un blessé la tête si bas ! Et ce jour ! Tirez donc le rideau !

En ce moment, entraînée par son zèle de médecin et n’écoutant plus que son bon cœur, elle avait tout à fait oublié ses grandes résolutions ; elle était tout à son malade ; elle s’était emparée de la chambre de Marcel ; elle allait et venait, rinçait les verres, donnait des ordres ; elle se fit raconter tout ce qui s’était fait depuis que Marcel était au lit ; il fallut qu’on lui expliquât de point en point quel avait été le traitement suivi.

Le blessé s’était retourné sur l’oreiller du côté du mur ; dans ce mouvement, le bandeau qui lui entourait le front se desserra, et le sang se répandit sur ses tempes. La tante courut au chevet du lit avec une grande compresse. — Mais dépêchez-vous donc, criait-elle ; tous ici ! Voyez comme il pâlit ! ce pauvre ami va se trouver mal ! Quel pansement ! On ne peut jamais se fier à ces docteurs ! Aidez-moi donc, vous tous ; je lui tiens le front, mais je ne puis pas tout faire. Laisse-moi, Damian, ce n’est pas ce flacon qu’il faut ; Sabine, Sabine, l’élixir, la fiole bleue ! Mais soulève-lui donc la tête, Sabine, laisse-moi verser, et toi, fais-le boire, doucement, doucement, du bout des lèvres.

En lui donnant l’élixir, Sabine lui soutenait le front, et quelques gouttes de sang tachèrent son mouchoir. Marcel rouvrit un instant les yeux ; il reconnut Sabine, et toutes les visions du ciel passèrent devant lui.

— Ah ! belle demoiselle, dit Espérit, vous lui rendez l’âme !

Sur ce mot, la tante prit une mine sévère et maussade ; elle se disposait à partir lorsqu’on annonça l’arrivée du docteur. La tante entra en longue conférence avec lui, il approuva tout ce qu’elle avait fait ; ils s’assirent dans un coin pour causer. Toute au plaisir de faire briller ses belles connaissances médicales, tante Blandine ne songeait plus au départ. Espérit, qui voulait la retenir le plus longtemps possible, crut bien faire en venant lui dire : — Maintenant que vous êtes ici, je vous garde jusqu’au retour de notre Sendrique ; ce ne sera pas long ; de ma fenêtre je viens de la voir là-bas, là-bas sur la route. Oh ! c’est bien elle, avec son fichu blanc et sa grande coiffe ; du bout de la plaine, je reconnaîtrais sa mule entre mille.