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de l’armée barbare. Assurant ainsi la marche de la multitude qui les suit, les soldats qui la composent s’éparpillent de tous côtés, sondant la profondeur des passes et s’élançant au sommet des roches abruptes. Les signaux de Goisvintha ne manquent pas de les attirer vers elle. Ils la conduisent, sur sa requête, auprès d’Hermanric. Le jeune guerrier écoute avec une fureur concentrée le récit des trahisons qui ont si cruellement frappé sa famille et son peuple. Tandis que Goisvintha les lui raconte, une vieille femme, moitié sibylle, moitié médecin, aux mains de laquelle Hermanric a remis son neveu, essaie de ranimer le malheureux enfant ; celui-ci expire cependant malgré les incantations et les remèdes. Goisvintha ne pousse pas un cri, ne verse pas une larme quand on dépose à ses pieds le cadavre encore tiède de son fils ; mais, accroupie devant ce cadavre, elle demande vengeance. Dominant sa voix, celle d’Alaric se fait entendre ; elle promet à ses guerriers le pillage de la ville éternelle. Les Barbares, à cette voix, ont repris leurs rangs, leurs masses imposantes s’ébranlent, et du haut des Alpes franchies le torrent dévastateur, que cette dernière digue n’arrête plus, se précipite sur la péninsule ouverte à ses flots.

À ce premier tableau qui ne manque, on le voit, ni de grandeur ni de poésie, ni de mouvement dramatique, succède une peinture d’un tout autre caractère : nous sommes transportés à Ravenne, sur les bords de l’Adriatique, qui, à cette époque lointaine, baignait encore les murs de cette ville forte. Là s’est retiré, abandonnant Rome à ses destinées, le faible et capricieux Honorius. Au bout d’une riche galerie du palais impérial, devant une porte curieusement sculptée, sont groupés les parasites ordinaires de toute royauté, les courtisans avides, les philosophes en quête d’emplois, les poètes mercenaires, les artistes besoigneux. Derrière cette porte est le tout-puissant empereur, — jeune homme aux traits pâles, à la démarche incertaine, ombre vaine des césars d’autrefois, — livré à son passe-temps favori,… L’éducation des volailles. Entouré de poules rares et de leurs couvées, il sème à profusion, de ses royales mains, sur les dalles de marbre, le grain qui les attire. Cependant à l’autre extrémité du palais, dans la grande salle des réceptions, les beautés de la cour entourent un sénateur récemment arrivé de Rome avec un message pour l’empereur. L’importance de Vetranio et la curiosité qu’il inspire aux grandes dames du palais ne tiennent nullement à ce que sa mission politique peut avoir de mystérieux. Esprit universel, riche entre les plus riches, comme il est noble entre les plus nobles, philosophe, rhéteur, poète à ses heures, sculpteur et musicien quand il le veut, Vetranio est encore un des plus beaux hommes et un des gastronomes les plus savans de son époque. On comprend qu’il y ait foule autour d’un personnage si bien doué ; on comprend que les