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Quand il serait vrai que l’homme tout entier n’est que matière, il n’en serait pas moins appelé à être heureux ou malheureux dans une autre vie, relativement à la nature de ses actions : voilà le nœud de la métaphysique de Bonnet. Selon lui, l’auteur de l’univers, qui conserve l’univers lui-même, cette grande machine si prodigieusement composée, manquerait-il de moyens pour conserver l’homme purement matériel ? Mais l’homme n’a pas seulement un corps, il a une âme, sans laquelle on ne saurait rendre raison de tous les phénomènes de l’homme, et en particulier du sentiment si clair et si simple qu’il a de son moi. Ce corps grossier et terrestre, que nous voyons et que nous palpons, renferme comme en un étui le germe d’un nouveau corps, destiné dès l’origine des choses à perfectionner toutes les facultés de l’homme dans une nouvelle vie. Et les animaux eux-mêmes contiennent les élémens de l’état perfectionné qui leur est réservé dans la nouvelle révolution que notre planète doit subir après toutes celles qu’elle a déjà subies, tous les êtres organisés recevant à chaque révolution une organisation supérieure à la précédente. En un mot, « il y aura de l’avancement pour tout le monde, » comme on l’a dit spirituellement[1]. « L’opinion commune qui condamne à une mort éternelle tous les êtres organisés, à l’exception de l’homme, appauvrit l’univers. Elle précipite pour toujours dans l’abîme du néant une multitude innombrable d’êtres sentans, capables d’un accroissement considérable de bonheur, et qui, en repeuplant et en embellissant une nouvelle terre, exalteraient les perfections adorables du Créateur. L’opinion plus philosophique que je propose répond mieux aux grandes idées que la raison se forme de l’univers et de son divin auteur : elle conserve tous ces êtres et leur donne une permanence qui les soustrait aux révolutions des siècles, au choc des élémens, et les fera survivre à cette catastrophe générale qui changera un jour la face de notre monde. »

L’homme ressuscitera donc, et il ressuscitera tout entier, c’est-à-dire avec le souvenir de ses états passés, capable par conséquent de les juger et de comprendre le jugement qui en sera porté. Ce qui est assez singulier, c’est que le fondement de cette personnalité, c’est la mémoire, qui a son siège dans le cerveau, mais qui lie par des nœuds secrets le cerveau périssable au germe impérissable. Au reste Bonnet s’avance dans son système les saintes Écritures en main. Loin d’y rien trouver qui le contrarie, il n’y voit que des preuves dont il s’empare avec respect. La foi personnelle de Bonnet n’est pas marquée au coin d’une orthodoxie très pure : il destine l’homme à être jugé dans l’éternité sur le mérite de ses actions, et il ne

  1. M. Villemain, Cours de Littérature française au dix-huitième siècle.