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de ma maison. Vous appeler mon fils serait désormais pour moi un acte d’hypocrisie et de dérision. Ce serait une insulte pour Clara… et même pour Ralph… que de vous traiter comme un de mes enfans. Dans ces annales vénérées, votre place est perdue, perdue à jamais. Plût à Dieu que je pusse arracher le passé de mon souvenir, comme j’arrache ce feuillet de ce livre ! »


La feuille tombe en lambeaux aux pieds de Basil, foudroyé par ce rude anathème. Puis, avec un calme hautain, son père, plaçant un papier devant lui, le somme d’y rédiger lui-même les conditions pécuniaires qu’il voudra mettre à l’abandon du nom qu’il porte, à l’exil éternel qu’il devra s’imposer. Ces conditions sont accordées d’avance ; mais ici le malheureux fils retrouve dans l’excès même de sa douleur la force de repousser l’humiliation qu’on y veut ajouter. Il ne veut pas l’accepter, même de son père. Au moment où celui-ci, furieux de sa désobéissance, se laisse emporter jusqu’à l’insulte, jusqu’à la menace, Clara, qu’une tendre sollicitude pour son frère avait attirée à la porte du cabinet où vient d’avoir lieu cette orageuse explication, Clara, surmontant sa timidité, son respect pour l’autorité d’un père, paraît tout à coup. Ses yeux baissés, sa pâleur, sa voix basse et tremblante disent assez qu’elle a tout entendu. Vainement son père veut l’éloigner ; pour la première fois de sa vie, elle méconnaît sa voix. Rien ne saurait l’empêcher de venir se placer à côté de son frère : elle invoque, pour l’un comme pour l’autre, le souvenir de la femme, de la mère qui n’est plus ; mais elle frappe vainement sur ces cœurs révoltés et sourds à ses prières. Basil quitte, pour ne plus y rentrer, la maison paternelle.

Nous croyons devoir à l’estime que nous inspire le talent de M. Wilkie Collins de ne pas insister sur les dernières pages de ce roman, jusque-là si saisissant et si vrai. Elles nous rappellent, par malheur, une foule d’œuvres de second ordre et des procédés dont le feuilleton-roman a trop souvent abusé pour qu’un véritable écrivain ne perde pas à s’en servir. Nous dirons donc très sommairement que Mannion, horriblement mutilé dans sa chute, voue plus que jamais à Basil une haine devenue l’unique objet de sa vie. De l’hospice où il a reçu les soins nécessaires à son état, il lui révèle le secret de sa conduite passée, et lui dénonce, — un peu trop complaisamment peut-être, — la guerre immortelle dont il compte le poursuivre. Margaret, rentrée chez son père, a d’abord voulu, de concert avec lui, opposer une dénégation absolue aux reproches de Basil, se présenter comme victime d’une machination infâme d’où sa vertu est sortie intacte, et revendiquer hautement, comme si elle n’y eût pas forfait, tous ses droits d’épouse. À coup sûr, Mannion devrait, pour être conséquent avec lui-même, l’encourager dans