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celles qui leur furent assignées dans les environs de Moscou et durent y transporter leurs familles. Enfin des patriciens, des marchands, des citoyens aisés, successivement arrachés à leurs foyers, furent transportés aux extrémités de la Russie. Plus de mille familles furent ainsi enlevées de Novgorod en une seule année, et remplacées par de petits nobles et des marchands de Moscou et d’autres villes. La cloche d’assemblée fut aussi transportée à Moscou. Ivan III traita en un mot Novgorod comme, quelques siècles plus tard, le tsar Nicolas devait traiter la Pologne.

Cette première exécution ne suffit pas cependant, et même dans son agonie la commune ainsi humiliée parut encore redoutable à ses vainqueurs. L’esprit de liberté ne cessait pas d’animer la population de Novgorod : il éclatait tantôt par des manifestations de place publique, tantôt par de véritables insurrections. Un siècle plus tard (1570), Ivan le Terrible jugea que le moment était venu de porter le dernier coup à Novgorod. Les habitans avaient été de nouveau accusés de conspirer avec le roi de Pologne ; la destruction totale de la ville fut aussitôt résolue. Le tsar entra sur le territoire de Novgorod, ravageant tout sur son passage, massacrant les populations sans distinction d’âge ni de sexe, et incendiant les bourgs et les villages. Il parut dans la ville soumise et terrifiée. Les magistrats et les principaux habitans furent conduits par son ordre dans une enceinte construite exprès. Alors son fils et lui, montés sur des chevaux vigoureux et la lance à la main, se précipitèrent sur ces malheureux et commencèrent le carnage ; quand ils étaient fatigués, leurs soldats continuaient le massacre. Le tsar fit ensuite briser les glaces du Volkhof (on était en hiver), et les citoyens furent plongés par centaines dans la rivière. Il en périssait ainsi de cinq à six cents par jour, et cela dura cinq semaines. Enfin, se trouvant assez vengé, Ivan prit congé des habitans, les invitant à être sages et se recommandant à leurs prières. Depuis cette expédition, Novgorod ne cessa de dépérir et descendit bientôt à l’état de bourgade.

Ainsi tomba Novgorod, dont l’histoire contraste si singulièrement avec celle de la société asservie au milieu de laquelle cette grande cité représenta pendant onze siècles (du Ve au XVIe) la liberté et la civilisation. C’est un phénomène remarquable assurément que cette prospérité industrielle se développant, à la faveur d’institutions libérales, en plein moyen âge, et s’arrêtant à l’époque même où la renaissance jetait ses lumières sur le reste de l’Europe. Après la chute de Novgorod, aucun élément de résistance et de liberté n’existait plus en Russie, et pendant trois siècles, le seul fait qu’allait offrir l’histoire de cet empire était l’affermissement du despotisme des tsars. On a vu comment la liberté communale avait pris naissance en