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le félicitaient cette réponse significative : » Enfin Dieu m’a fortifie contre vous ! » En effet, la guerre finie à l’est, au nord et à l’ouest, il s’occupa des affaires intérieures. On sait comment il détruisit Novgorod. Il lui restait à dompter les boyards, et quinze ans de son règne furent consacrés à cette œuvre. Il décima ou extermina les plus grandes familles, abattant les plus hautes têtes, n’épargnant ni les vieillards, ni les enfans, ni les femmes, massacrant les victimes même au pied de l’autel, et, quoique dévot, portant sa main audacieuse jusque sur le métropolite de Moscou. « Peut-être, dit un écrivain russe de l’époque d’Ivan, le prince Kourbskoï, les mœurs de la nation exigeaient-elles un semblable gouvernement ! »

Ce qu’on ne peut refuser à Ivan IV, c’est une intelligence supérieure et un ardent patriotisme. Arrivé au trône dès l’âge de quatre ans, il avait cruellement souffert pendant sa minorité[1] : il s’était promis de délivrer son pays des derniers restes de la domination tartare, et il tint parole. Le système des tsars trouva en lui la première de ces personnifications qui se manifestèrent fréquemment après l’avènement des Romanof. Les boyards furent renversés comme un obstacle à la centralisation du pouvoir. Novgorod fut détruite, non-seulement comme foyer d’opposition, mais comme un centre d’où l’influence polonaise menaçait d’agir contre la Russie. Tartares, Suédois, Lithuaniens, Polonais, tous les ennemis de l’empire naissant trouvèrent Ivan prêt à les combattre. En même temps des savans, des artistes étaient appelés par ce prince intelligent pour initier les populations russes aux secrets des civilisations plus avancées. La Russie, sous ce joug de fer, fut préparée à une vie nouvelle. Le terrible tsar laissa son pays épuisé, mais considérablement accru en territoire et en force militaire.

Le règne d’Ivan fut suivi d’une période orageuse, dont tout l’intérêt se résume dans la lutte de la Russie et de la Pologne. Ivan IV avait tué de sa propre main son fils aîné dans un accès de sauvage colère, et non de propos délibéré, comme le fit plus tard Pierre le Grand. Ce crime devait avoir pour sa dynastie de funestes conséquences. Il lui fallut léguer le trône à son autre fils, Féodor, tellement

  1. Pendant la minorité d’Ivan IV, les boyards mirent au pillage le pouvoir et les finances du jeune prince. Leur insolence le disputait à leur cupidité. On voyait, suivant une lettre d’Ivan IV rapportée par un historien russe, le prince Kourbskoï, « Vassili Chouiski nonchalamment assis sur un banc, le coude et presque tout le corps appuyés sur le lit qui avait appartenu au dernier souverain, étendre insolemment les jambes et les tenir posées sur les genoux de son prince. » Plus tard Ivan IV, devenu Terrible, fit main-basse sur cette caste superbe, et les boyards auxquels il consentait à laisser la vie, en se contentant de leur faire administrer le knout sous ses yeux pour la moindre faute, se prosternaient à ses pieds après leur supplice : « Vivez, lui criaient-ils, et régnez heureusement, grand prince qui honorez de vos bontés vos fidèles sujets, et daignez les punir pour les rendre meilleurs ! »