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d’être frappé dans toute l’Europe en voyant le chemin que, par la seule durée de la guerre, font au moins dans les esprits les hypothèses les plus hardies et les plus éloignées du point de départ de cette question, dont l’annulation de la prépondérance russe dans la Mer-Noire ne sera bientôt plus peut-être qu’une phase promptement dépassée. Voilà l’étrange résultat auquel est arrivée la Russie. En appelant tous les regards sur son ambition et ses envahissemens en Orient, elle a attiré l’attention sur l’excès de sa prépondérance dans le Nord et au centre du continent, en Allemagne et dans la Scandinavie. Après les lumineuses révélations publiées récemment ici même sur les rapports de la Suède et de la Russie depuis la fin du dernier siècle, durant la crise de l’empire, il serait superflu d’indiquer plus amplement ce que peut devenir le rôle du premier successeur de Charles-Jean dans la suite du conflit actuel. Ce rôle ne peut qu’être conforme aux vrais intérêts de la péninsule Scandinave, dont la représentation la plus complète est dans les couronnes unies de Suède et de Norvège. Les intérêts de cette péninsule ne fussent-ils pas clairs comme la lumière du jour, il ressortirait encore, d’une curieuse correspondance adressée au journal anglais dont nous partions par un Norvégien sur les empiétemens de la Russie dans le Finnmark.

Ce pays peu connu, aussi pauvre que faiblement peuplé, et qui forme l’extrémité nord-ouest de l’Europe, ne parait pas au premier abord devoir attirer beaucoup l’ambition d’une grande puissance. La politique du cabinet de Pétersbourg n’en a point jugé ainsi, et depuis longtemps elle travaille à s’insinuer sur le revers occidental des derniers prolongemens des alpes norvégiennes jusqu’à ce dédale d’îles, de golfes étroits et profonds de la Mer du Nord, où la mer ne gèle jamais. Il suffit de ces simples mots pour comprendre l’importance qu’elle y attache et le parti qu’elle en tirerait. Dans ces dernières années, on a senti le besoin à Pétersbourg d’endormir les défiances du cabinet de Stockholm et du parlement norvégien en laissant tomber la question ; mais jusque-là la Russie n’avait rien négligé pour intimider et séduire tour à tour les malheureux habitans de ces contrées désolées, et pour peser par d’injustes exigences sur le gouvernement qui les doit protéger. Un grand nombre d’officiers russes ou finlandais ont exploré le pays sous divers prétextes, et on s’est efforcé de préparer, par tous les moyens familiers à l’ambition russe, un agrandissement qu’on aurait déguisé sous l’apparence d’une rectification de limites. Dans l’état actuel des choses, démasquer ces plans, c’est les déjouer, et il n’en reste qu’une preuve de plus des dangers que faisait courir à toutes les nationalités voisines, comme à l’équilibre général, une puissance dont l’ambition était sans bornes, la politique sans scrupules et les ressources immenses. Contenir l’expansion de cette puissance, faire rentrer dans ses limites cette activité incohérente, fortifier les barrières qui doivent rassurer l’Occident, la Turquie, le Nord contre ses menaces, telle est la tâche que l’empereur Nicolas a imposée, sans provocation de leur part, à la France et à l’Angleterre. C’est une tache qui grandit sans doute avec l’obstination de la Russie ; mais aussi, à mesure qu’elle grandit, l’alliance entre l’Angleterre et la France semble devenir plus étroite, plus capable d’entraîner à sa suite, d’autres combattans sous le même drapeau. Sans prétendre devancer les événemens, il est permis dès