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peut-être excessif, sur les destinées du Mexique, et la chance favorable qu’elle offre à l’ambition américaine ; Rien n’est plus curieux, sous ce rapport, que les détails apportés par les dernières correspondances.

Les États-Unis sont représentés à Mexico par un diplomate improvisé, — comme le sont un grand nombre des agens du gouvernement fédéral au dehors, — M. le général Gadsden, homme de parti, démocrate ardent, un de ces fatalistes sans scrupules qui croient ou qui disent la grande république prédestinée à s’étendre jusqu’à l’isthme de Panama. Il est vrai qu’il est aventureux, personnel, indiscipliné, ce qui permet à son gouvernement de le désavouer sans que la chose tire à conséquence, mais ce qui embarrasse singulièrement le cabinet à qui ce diplomate a affaire. Néanmoins, le bruit s’étant répandu à Mexico, vers le milieu du mois de septembre, que le ministre des États-Unis proposait aux chefs de la révolution un traité d’alliance formellement dirigé contre l’influence européenne, avec un prêt de trente millions de piastres hypothéqué sur les biens du clergé, et des stipulations qui constituaient un véritable protectorat, personne n’a hésité à croire que le général Gadsden n’eût effectivement conçu un pareil projet. C’était peut-être démasquer un peu tôt ses batteries ; mais comme on les savait dressées depuis longtemps, et comme on voyait les circonstances favorables pour ouvrir le feu, on ne douta point que le fond de ces révélations ne fût vrai, et elles produisirent une sensation, disons mieux, elles firent un scandale avec lequel tout le monde dut compter, et la légation des États-Unis la première, dans l’intérêt même des vues ambitieuses dont les Américains réussiront difficilement à se faire absoudre. Le général Gadsden, après avoir attendu quelques jours, sans doute pour se convaincre de l’immense impopularité du protectorat américain, adressa donc aux journaux de Mexico une lettre, dont les développemens sont un peu nuageux et le style très bizarre, où il déclare que jamais son gouvernement n’a présenté la proposition, ni conçu l’idée qu’on lui attribue. Il n’aurait même été question d’une alliance plus étroite entre les deux pays, dans le peu de rapports que le ministre des États-Unis aurait eus avec les chefs du parti triomphant, que pour en reconnaître de part et d’autre les difficultés, les gravis inconvéniens et l’inopportunité. Le signataire de la lettre saisit cette occasion de décerner aux coryphées de la révolution un brevet de patriotisme et d’inviolable attachement à la nationalité mexicaine, tandis que les chefs du parti contraire, les centralistes ou les conservateurs, auraient souvent, dit-il, laissé entendre qu’ils feraient bon marché de l’indépendance de leur pays, et, convaincus de son inexpérience à se gouverner lui-même, accepteraient volontiers la protection des États-Unis, pour ne pas être dévorés par l’anarchie.

La lettre du général Gadsden suffira-t-elle pour détruire dans tous les esprits les soupçons qu’elle combat ? Nous l’ignorons ; mais au moins nous sommes sûrs que les véritables chefs du parti conservateur au Mexique n’ont jamais tourné les yeux vers le gouvernement des États-Unis pour tirer leur pays de l’abîme où il s’enfonce chaque jour davantage. Ils ont pu envier certaines qualités du génie anglo-américain, qui suffisent encore, bien que très péniblement, à balancer les défauts et à neutraliser les dangers des institutions nationales, au prix de quelques-unes des plus précieuses garanties et