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nourrit avec les pulpes 1,000 têtes de gros bétail, et produit ainsi assez d’engrais pour récolter 10,000 hectolitres de blé : il n’y a rien en Angleterre de plus gigantesque. Dans le département de l’Oise, à Bresles, une société s’est formée, au capital de 800,000 fr., pour une exploitation du même genre ; elle a cultivé l’année dernière 500 hectares en betteraves, dont elle a fait du sucre et de l’alcool, a engraissé avec les pulpes je ne sais combien d’animaux, a récolté 3,000 hectolitres de froment, et après un mouvement de fonds de plusieurs millions en recette et en dépense, a donné, dit-on, à ses actionnaires 15 pour 100 de leur argent. L’état prend sa part de ces énormes produits, car un hectare de betteraves rapporte au fisc, par l’impôt sur le sucre indigène, près d’un millier de francs, et cependant le sucre est à plus bas prix que jamais. Tels sont les prodiges de la chimie moderne.

Voici maintenant le revers de la médaille : cette culture si belle a des bornes assez étroites. Elle couvre tout au plus le millième du sol, et ne peut guère s’étendre au-delà ; elle n’a pu réussir jusqu’ici dans la moitié méridionale de la France ; elle n’est possible que dans des terres riches, fraîches, parfaitement ameublies ; elle suppose des capitaux énormes et souvent renouvelés pour l’établissement des sucreries et distilleries, et, ce qui est plus grave, ses débouchés ne sont pas inépuisables. Les fléaux qui ont atteint la vigne ont pu seuls donner faveur à l’alcool de betteraves ; qu’ils viennent à cesser, cette branche de produits sera tout au moins fort menacée. Quant au sucre, rien n’assure que son prix ne baissera pas encore, et il ne peut être comparé, pour l’importance de la consommation, aux denrées alimentaires. Le véritable objet de l’agriculture, sa base indestructible, c’est la production de la viande et du pain.

Les autres cultures industrielles sont encore plus attaquables sous ce rapport. J’admire comme un autre ces tabacs, ces lins, ces colzas, ces garances, mais je me demande quelquefois si le travail et l’engrais qu’ils consomment ne pourraient pas être plus utilement employés. Leur principal défaut est dans tous les cas d’attirer l’attention de nos cultivateurs vers les récoltes qui épuisent plus que vers celles qui fertilisent. On ne se douterait pas, en voyant toutes ces richesses, que le pays qui les produit souffre depuis trois ans d’une disette persistante, et qu’en temps ordinaire il peut à peine nourrir une population spécifique inférieure de moitié à la population anglaise ; telle est pourtant la vérité. Il y a bien des causes à cette anomalie ; le goût des cultures exceptionnelles n’y est-il pas pour quelque Chose ? Moins exclusif que les Anglais, j’admets volontiers ces beaux produits comme le couronnement d’une agriculture perfectionnée, je veux seulement rappeler qu’ils ne peuvent être que des accidens ; le