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une correspondance en pays étranger, et elle lui avait commandé d’aller dire au cardinal le serment qu’elle faisait. Elle fit venir aussi le père Caussin, jésuite, confesseur du roi, et lui renouvela le même serment. Puis, deux jours après, voyant qu’il n’y avait pas moyen de s’en tenir à une dénégation aussi absolue, elle commença par avouer à Richelieu qu’à la vérité elle avait écrit en Flandre à son frère, le cardinal infant, mais pour savoir des nouvelles de sa santé, et autres choses d’aussi peu de conséquence. Richelieu lui ayant montré qu’on en savait davantage, elle fit retirer sa dame d’honneur, Mmes de Sénecé, Chavigny et de Noyers, qui étaient présens, et, restée seule avec le cardinal, sur l’assurance qu’il lui donna du plein et absolu pardon du roi si elle disait la vérité, elle avoua tout, en témoignant une extrême confusion d’avoir fait des sermens contraires. Pendant cette triste confession, appelant à son secours les grâces et les ruses de la femme et couvrant ses vrais sentimens de démonstrations affectueuses, elle s’écria plusieurs fois : « Quelle bonté faut-il que vous ayez, monsieur le cardinal ! » Et, protestant d’une reconnaissance éternelle, elle lui dit : « Donnez-moi la main, » et lui présenta la sienne comme un gage de sa fidélité ; mais le cardinal s’y refusa par respect, se retirant au lieu de s’approcher[1]. L’abbesse du Val-de-Grâce fit comme la reine ; après avoir tout nié, elle avoua ce qu’elle savait. Le roi et Richelieu pardonnèrent, mais en faisant signer à la reine une sorte de formulaire de conduite auquel elle devait se conformer religieusement. On lui interdit provisoirement l’entrée du val-de-Grâce et de tout couvent jusqu’à ce que le roi lui en donnât de nouveau la permission, on lui défendit d’écrire jamais qu’en présence de sa première dame d’honneur et de sa première femme de chambre, qui devaient en rendre compte au roi, ni d’adresser une seule lettre en pays étranger par aucune voie directe ou indirecte, sous peine de se reconnaître elle-même déchue du pardon qu’on lui accordait. La première à la fois et la dernière de ces prescriptions se rapportaient à Mme de Chevreuse : le roi commandait à sa femme de ne jamais écrire à Mme de Chevreuse, « parce que ce prétexte, disait-il, a été la couverture de toutes les écritures que la reine a faites ailleurs. » Il lui commande aussi de ne plus voir ni Craft, gentilhomme anglais, ami de Montaigu et de la duchesse, fort suspect d’être mêlé à toutes leurs intrigues, ni des autres entremetteurs de Mme de Chevreuse. » On le voit, c’est toujours Mme de Chevreuse que Louis XIII et Richelieu considèrent comme le principe de tout mal, et ils ne se croient bien sûrs de la reine qu’après l’avoir séparée de sa dangereuse amie.

  1. Mémoires de Richelieu, t. X, p. 201, et la Relation manuscrite.