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lui écrire, tant la police de Richelieu était redoutée, tant on craignait d’être accusé de correspondre avec l’ennemi et avec Mme de Chevreuse. L’intendant même de sa maison, Boispille, recevant d’elle une lettre, dit au messager qui lui demandait une réponse : Nons ne faisons pas de réponse en Espagne. Aussi, pour avoir plus de liberté et pour être plus près de la France, elle prit le parti de passer dans un pays neutre et même ami, et au commencement de l’année 1638 elle arriva en Angleterre.


IV

Mme de Chevreuse fut reçue et traitée à Londres comme elle l’avait été à Madrid. Elle y retrouva le premier de ses adorateurs, le comte de Holland, lord Montaigu, toujours enflammé pour elle[1], Craft, et bien d’autres gentilshommes, anglais et français, qui s’empressèrent de lui faire cortège. Elle charma particulièrement le roi et la reine. Elle avait toujours beaucoup plu à Charles Ier, et Henriette, en revoyant celle qui autrefois l’avait conduite à son royal époux, l’embrassa, et voulut qu’elle s’assît devant elle, distinction tout à fait inusitée dans la cour d’Angleterre. Le roi et la reine écrivirent en sa faveur au roi Louis XIII, à la reine Anne et au cardinal de Richelieu[2]. Mme de Chevreuse réclamait la pleine et entière jouissance de son bien, qui lui avait été naguère accordée et ensuite retirée depuis sa fuite en Espagne. Au printemps de 1638, la grossesse de la reine Anne, étant devenue publique, avait rempli la cour de France d’allégresse et ouvert tous les cœurs à l’espérance. Mme de Chevreuse profita de cet événement pour adresser à la reine la lettre suivante qu’Anne d’Autriche pouvait très bien montrer à Louis XIII, et qui pourtant, sous sa réserve et sa circonspection diplomatique, laisse paraître la réciproque et intime affection de la reine et de l’exilée[3] :

« A la reine, ma souveraine dame.

« Madame, je ne serois pas digne de pardon si j’avois pu et manqué de rendre compte à votre majesté du voyage que mon malheur m’a obligée d’entreprendre. Mais la nécessité m’ayant contrainte d’entrer en Espagne, où le respect de votre majesté m’a fait recevoir et traiter mieux que je ne méritois, celui que je vous porte m’a fait taire jusqu’à ce que je fusse en un royaume qui, étant en bonne intelligence avec la France, ne me donne pas sujet d’appréhender que vous ne trouviez pas bon d’en recevoir des lettres. Celle-ci

  1. Mémoires de Richelieu, tome X, p. 488.
  2. Manuscrits de Colbert, tome II, fol. 1 et 2.
  3. Manuscrits de Colliert, ibid., fol. 4.