Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/973

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

m’aller exposer à tout ce qu’il peut produire Croyez que je souhaite si passionnément mon retour, que je passe par-dessus beaucoup de choses ; mais il y en a qui m’arrêtent avec tant de raison qu’il faut nécessairement que je demeure encore où je suis. Je sens et sens trop les incommodités de cet éloignement, pour ne le pas faire finir aussitôt que j’y verrai jour. En attendant, il vaut mieux souffrir que de périr[1]. »

Ainsi s’évanouirent les dernières espérances d’un rapprochement sincère entre deux personnes qu’attiraient l’une vers l’autre et que séparaient avec la même force d’insurmontables instincts, qui se connaissaient trop pour ne pas se craindre, et pour se fier à des paroles dont elles n’étaient point avares, sans exiger de sérieuses garanties qu’elles ne pouvaient ni ne voulaient donner. À Tours, deux ans auparavant, Mme de Chevreuse avait mieux aimé reprendre une seconde fois le chemin de l’exil que de risquer sa liberté ; à Londres aussi elle préféra supporter les douleurs de l’exil, consumer ses derniers beaux jours dans les privations et les fatigues, pour demeurer libre, avec l’espoir de lasser la fortune à force de courage, et de faire payer cher ses souffrances à leur auteur.

Au milieu de l’année 1639, Marie de Médicis, lasse de la vie errante qu’elle menait dans les Pays-Bas, à la merci du gouvernement espagnol, qui lui avait prodigué les promesses dans l’espoir de s’en servir, et qui la délaissait la voyant impuissante, prit le parti de venir demander un asile à sa fille, la reine d’Angleterre. Celle-ci pouvait-elle donc repousser sa mère vieille, malade, réduite aux dernières extrémités ? L’impitoyable Richelieu accuse Mme de Chevreuse[2] d’avoir soutenu et secondé la résolution de la reine Henriette ; nous, nous la blâmerions de ne l’avoir pas fait, et de n’avoir pas été, elle-même exilée et malheureuse, mêler ses respectueux hommages à ceux de la cour d’Angleterre envers la veuve d’Henri IV, la mère de Louis XIII et de trois grandes reines, qui venait d’essuyer sur l’Océan une tempête de sept jours, et arrivait, dénuée, abattue, mourante, triste objet de la compassion universelle. Richelieu, qui ne voit partout que la politique, incline à trouver dans ces hommages et dans les visites que fit Mme de Chevreuse à Marie de Médicis des intrigues et des complots. Ce sont là vraisemblablement les accusations dont se plaint à mots couverts Mme de Chevreuse dans ses dernières lettres. Elle les repousse et avec raison ; elle se tint tranquille et même fort circonspecte aussi longtemps qu’elle conserva l’espoir d’une sincère réconciliation avec Richelieu ; mais

  1. Manuscrits de Colbert, f° 54.
  2. Mémoires, t. X, p. 484.