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agronomique, à qui j’emprunte la plupart de ces chiffres, estime à 1,600,000 mètres cubes la consommation annuelle du bois de charpente en France. Je crois cette évaluation plutôt au-dessous de la vérité ; nous avions au 1er janvier 1846, époque du dernier recensement, 7,500,000 maisons imposées, et nous devons en avoir aujourd’hui 8 millions. L’Angleterre, de son côté, n’en a pas beaucoup moins. Je sais bien que, soit pour la marine, soit pour le bâtiment, on tend aujourd’hui à remplacer autant que possible le bois par le fer, mais cette substitution ne s’opère que lentement, surtout en France, même en Angleterre elle trouve un obstacle dans le prix du fer ; il faut une véritable disette de bois pour y avoir recours. Restent la menuiserie, le charronnage, la tonnellerie, enfin le bois de feu. Cette dernière consommation est à peu près mille en Angleterre, où la houille en tient lieu ; mais elle est encore considérable en France, soit pour les usines, soit pour les besoins domestiques. On l’évalue en général à un stère environ par tête, ou 35 millions de stères[1] par an.

En somme, la consommation annuelle du bois, sous toutes les formes, doit atteindre en France une valeur de 320 millions, dont 200 en bois de feu et 120 en bois de marine et d’industrie, et en Angleterre de 360, presque tout entière en bois d’industrie et de marine. Pour subvenir à cette gigantesque demande, la production nationale est insuffisante, surtout en Angleterre. L’importation des bois étrangers a décuplé, dans les deux pays, depuis la paix de 1815 ; elle atteint aujourd’hui 70 millions pour la France, dont 60 en bois communs et 10 en bois de teinture et d’ébénisterie, et la somme bien autrement colossale de 300 millions pour l’Angleterre. On comprend aisément que de pareils débouchés aient excité la convoitise des colonies anglaises. Elles entrent déjà pour la moitié environ dans les approvisionnemens anglais, mais elles ne prennent jusqu’ici aucune part à l’approvisionnement de la France, qui achète ses bois de construction dans le nord de l’Europe et fait venir ceux de teinture et d’ébénisterie du Mexique et d’Haïti. Par une nouvelle application de cette politique habile et libérale dont elle a pris si utilement l’initiative, l’Angleterre s’est bien gardée, malgré l’énormité de ses propres besoins, de s’attribuer le monopole des bois de ses colonies ; c’est à la suite d’un mot d’ordre général que nous les

  1. Il faut faire une distinction outre le mètre cube et le stère ; le mètre cube, qui sert à mesurer le bois de marine et de charpente, est un stère de bois plein ; le stère, qui sert de mesure pour le bois de chauffage, est un mètre cube de bûches empilées présentant plus ou moins de vides. Cette distinction n’est pas la seule : les divers modes de cubage prêtent à des confusions continuelles, et font une des plus grandes obscurités du langage forestier.