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et qu’il ne voulait pas en envoyer chercher un, parce qu’il n’avait pas le moyen de le payer. D’ailleurs il prétend n’avoir pas foi aux docteurs, et il se médicamente lui-même. Je lui ai promis que je vous enverrais, mais en qualité d’ami et non de médecin. Vous pourrez vous présenter comme un amateur de tableaux, lui commander quelque peinture, et ne lui laisser connaître que par degrés que vous êtes médecin. Par ce moyen peut-être leur serez-vous cet hiver de quelque utilité.

Le lendemain, après avoir fait ma tournée quotidienne, je me fis conduire dans Water-Street - Est-ce ici que demeure M. Janssen ? demandai-je à une vieille femme qui balayait la porte.

— Beaucoup de monde demeure ici, répondit-elle. Je ne sais pas si M. Janssen y demeure ou non ; mais, si vous voulez monter, peut-être quelqu’un des locataires vous le dira.

Je montai le vieil escalier délabré, m’informant à toutes les personnes que je rencontrais si M. Janssen demeurait dans la maison ; enfin un petit garçon me dit que c’était le nom de son père, et me conduisit dans l’appartement que ses pareils occupaient.

Mme Janssen se leva à mon approche, et je fus immédiatement frappé de la noblesse de sa personne et de ses manières. Elle devina qui j’étais, s’avança et dit à voix basse : — N’est-ce pas le docteur *** qui me fait l’honneur de me visiter ?

— Je suis le docteur ***, répondis-je, et je suis venu à la requête de ma femme et de mes nièces, qui, si je suis bien informé, étaient ici hier.

J’étais très mécontent d’être retenu si tard en ville ; mais toute ma mauvaise humeur s’évanouit sur-le-champ. Je n’ai jamais vu de manières aussi nobles que celles de Mme Janssen. Son costume était des plus simples, et son appartement indiquait, de manière à ne pas s’y méprendre, une grande pauvreté. Elle n’essaya pas de me demander excuse pour son dénûment, car elle jugea, selon les principes d’une certaine politesse intuitive, que sa pauvreté parlait assez haut, et que c’était là une excuse suffisante pour toute espèce de misère, à l’exception de la malpropreté et de la négligence.

Après quelques minutes de conversation, je m’aperçus que Mme Janssen était femme de grande intelligence, et qu’elle avait autrefois connu des jours plus heureux. Elle s’était mariée avec le consentement de ses parens à un jeune artiste, quoiqu’il fût pauvre et qu’il dépendit pour ses frais d’éducation de la munificence de l’état. Hans Janssen était un des jeunes artistes danois qui donnaient le plus d’espérances. Tous deux avaient été à l’école ensemble, et à mesure que Hans avait grandi, Katrina Fernsen avait senti croître son affection pour lui. Enfin ce sentiment de tendresse