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m’embarquer, je trouverais un bateau à vapeur qui me transporterait de Tarsus à Jaffa. J’avais été bien inspirée. Le pacha regarda ses secrétaires, confidens et serviteurs, qui secouèrent la tête. Après quelques minutes de consultation et de discussion en arabe, son excellence finit par avouer que le passage du paquebot à vapeur avait lieu d’une façon fort irrégulière, que Tarsus n’était pas une échelle (c’est ainsi que l’on nomme les ports auxquels touchent les paquebots), qu’il y aurait peut-être un passage dans le courant du mois prochain, mais que peut-être aussi n’y en aurait-il pas avant trois mois. Il me proposa encore de m’embarquer sur un bâtiment à voile, mais on lui objecta les vents qui soufflaient de toutes parts dans le golfe, et on lui fit une énumération si terrible de tous les naufrages du dernier hiver, que l’aimable pacha, finissant par où il aurait dû commencer, m’assura que si je voulais être rendue à Jérusalem pour les fêtes de Pâques, il me fallait prendre la voie de terre.

Il me restait un dernier point à aborder. J’allais traverser ce terrible Djaour-Daghda : le sort en était jeté, et il n’y avait plus à s’en dédire : il s’agissait donc de conjurer le danger. Le pacha m’ayant parlé du bey de la montagne comme d’un homme qu’il connaissait et estimait particulièrement, je crus pouvoir sans inconvenance lui demander quelques lignes d’introduction en ma faveur. Je les obtins, et de plus je dus accepter une escorte de vingt hommes; puis un de mes amis d’Adana me procura une seconde épître d’un négociant auquel le bey avait toute sorte d’obligations. Dès lors je me considérai comme à l’abri de tout péril. Ayant pris congé de l’aimable pacha, je rentrai à mon logement et me préparai au départ, qui eut lieu le lendemain matin.

Dans une ville d’Orient, le départ, comme l’arrivée, est une affaire qui a son importance : toute la ville est en émoi. La curiosité d’abord, puis ce sentiment d’hospitalité dont personne n’oserait se montrer dépourvu, enfin la coutume transforment momentanément tout voyageur, quelque insignifiant qu’il soit d’ailleurs par lui-même, en une espèce d’idole à laquelle on ne saurait rendre trop d’hommages. Toutes les maisons lui sont ouvertes, toutes les cafetières sont sur le feu; pas un pot de confitures qui ne soit appelé à jouer son rôle dans les fêtes de la bienvenue. Je ne ferai point ici la part de l’ostentation, de l’habitude et de la véritable bienveillance : cela serait d’autant plus difficile que les proportions varieraient d’un lieu à l’autre. Ce qui est certain, c’est que le voyageur ne se sent pas étranger dans la ville qu’il visite pour la première fois, et où il ne connaît personne. J’ai dit que toutes les portes lui sont ouvertes; mais il y a plus : peut-être les cœurs le sont-ils aussi; quant aux bourses,