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domicile; les tourterelles roucoulaient tristement sur les grands arbres, et de temps à autre les premières plaintes du rossignol saluaient l’approche de la nuit.

Au détour d’un sentier bordé de haies vives, nous nous trouvâmes tout à coup à l’entrée d’une cour irrégulière, au fond de laquelle s’élevait un bâtiment d’assez pauvre apparence. C’était la maison du bey, et le bey lui-même nous attendait sur le seuil de sa demeure. L’accueil qu’il nous fit ne laissait rien à désirer, et je fus personnellement assez heureuse pour obtenir la permission de me retirer dans ma propre tente. Le temps conspirait contre moi : il plut si fort pendant la nuit, qu’à moins d’encourir le reproche d’excentricité, je dus me résoudre à m’abriter sous un toit en planches. Ce que je craignais, c’était d’être condamnée à habiter le harem; mais le bey, en homme d’esprit, devinant mes secrètes pensées, mit à ma disposition une grande pièce de son propre appartement, tout en m’informant que ses femmes recevraient mes visites et me les rendraient chaque fois que cela me conviendrait. Une fois rassurée sur la liberté de mes allures, je commençai par prendre possession de mon domicile, puis je profitai sans retard de l’occasion qui m’était offerte pour étudier à ma fantaisie, et sous une face nouvelle, cette vie du harem dont mon séjour chez le muphti de Tcherkess m’avait déjà donné une assez triste idée. Le harem étant une des institutions les plus mystérieuses de la société turque, on trouvera bon peut-être que je m’arrête encore une fois sur ce sujet.

Le mot de harem désigne un être complexe et multiforme. Il y a le harem du pauvre, celui de la classe moyenne et du grand seigneur, le harem de province et le harem de la capitale, celui de la campagne et celui de la ville, du jeune homme et du vieillard, du pieux musulman regrettant l’ancien régime et du musulman esprit fort, sceptique, amateur de réformes et portant redingote. Chacun de ces harems a son caractère particulier, son degré d’importance, ses mœurs et ses habitudes. Le moins étrange de tous, celui qui se rapproche le plus d’un honnête ménage chrétien, c’est le harem du pauvre habitant de la campagne. Forcée de travailler aux champs et dans le potager, de conduire les troupeaux au pâturage, d’aller de l’un à l’autre village y faire ou y vendre ses provisions, la femme du paysan n’est pas prisonnière derrière les murailles de son harem, et lors même (ce qui n’arrive pas souvent) que la maison conjugale a deux chambres, dont l’une est théoriquement réservée aux femmes, les hommes n’en sont pas rigoureusement bannis. Il est rare que le paysan épouse plusieurs femmes, et cela n’arrive guère que dans des circonstances extraordinaires, par exemple lorsqu’un journalier, un serviteur, un inférieur enfin, épouse la veuve de son maître, événement-qui n’a