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a de douceur, de sérénité natives chez le Turc, il faut observer les paysans d’origine ottomane, soit dans leur champ, soit au marché ou sur le seuil d’un café. La moisson, les semailles, le prix de l’orge, leur famille, — voilà l’invariable sujet de leurs entretiens. Aucun d’eux n’élève la voix, aucun ne pousse la plaisanterie jusqu’à blesser ou fatiguer même ses compagnons; aucun ne mêle à ses propos ces blasphèmes ou ces dictons grossiers que le peuple affectionne dans d’autres pays. Est-ce à l’éducation qu’ils doivent cette réserve exquise, ces manières à la fois si nobles et si simples ? Non, c’est à la nature. Oui, la, nature a été prodigue envers le peuple turc; mais tous ces dons qu’il tient d’elle, les institutions ne tendent guère qu’à les altérer. A mesure qu’on s’éloigne des classes où se conserve le caractère primitif, à mesure qu’on pénètre dans la bourgeoisie ou dans les régions plus hautes encore, c’est le vice qui apparaît, le vice qui grandit, prédomine, et finit par régner seul. Nous venons de voir les bons instincts de la nation turque tels qu’ils se révèlent chez le paysan; il faut maintenant étudier l’influence exercée sur les classes supérieures par la déplorable constitution de la famille musulmane. C’est surtout dans la région moyenne de la société turque, dans les imitations serviles provoquées par l’exemple de la noblesse, que cette fâcheuse influence peut aisément être jugée par ses résultats.

Entrons dans le harem d’un bourgeois ou d’un petit gentilhomme campagnard. Qu’avant tout la voyageuse privilégiée qui veut visiter ce triste lieu ne se fasse aucune illusion, qu’elle se prépare à surmonter bien des répugnances. Figurez-vous un corps de logis séparé de la maison proprement dite, où le maître reçoit ses hôtes, où les domestiques mâles ont seul le droit d’habiter. L’entrée de ce corps de logis donne d’ordinaire sur un vaste hangar où des poules juchent sur toute sorte de débris et d’immondices. Un escalier en bois, aux marches disjointes et vermoulues, aboutit aux appartemens supérieurs, qui consistent en un grand vestibule donnant accès dans quatre chambres. Une de ces chambres est réservée au seigneur du lieu, qui l’habite avec sa favorite du moment. Les autres pièces sont occupées par le reste de ce qu’on appelle ici la famille. Femmes, enfans, hôtes du sexe féminin, esclaves du maître ou des maîtresses, composent la population du harem. Il n’y a pas en Orient de lits proprement dits, ni de chambres spécialement consacrées au repos. De grandes armoires contiennent pendant le jour des amas de matelas, couvertures et oreillers. Le soir venu, chacune des habitantes du harem tire de l’armoire ce qui lui est nécessaire, fait son lit par terre n’importe où, et se couche toute habillée. Quand une chambre est remplie, les survenantes s’établissent ailleurs, et si les chambres sont encombrées, les dernières venues se placent dans le