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souffrent-elles dans leur âme ou dans leur corps, — Peut-être en rira-t-il, peut-être aussi demeurera-t-il parfaitement indifférent. Profondément ignorant, ne sachant pas même qu’il existe des pays où le culte des arts et des lettres remplit et charme les loisirs de l’homme, il n’y a pour lui que des plaisirs sensuels et le repos, qu’il prolonge et varie autant qu’il le peut par l’usage de l’opium, du hachich, de l’eau-de-vie et du tabac. Les charmes de la conversation sont lettre close pour lui; il parle pour demander ou pour ordonner ce dont il a besoin; puis il se tait, et, chacun gardant le silence autour de lui, il n’a pas même la ressource d’entendre les on dit. Quand une de ses femmes a perdu la fraîcheur de la jeunesse, quand, par un motif quelconque, elle a cessé de lui plaire, il s’abstient de l’appeler auprès de lui, et il oublie bientôt son existence. S’il a vu au bazar une esclave qui lui convienne, il l’achète, la mène chez lui, et la proclame sa favorite. C’est peut-être une idiote, une gourmande, une voleuse : il ne l’ignore pas, mais qu’importe ? Il n’a pas d’illusions. Comment en aurait-il, et pourquoi ? Il sait bien que la jeune femme qu’il serre dans ses bras n’éprouve pour lui que haine et dégoût; il sait bien qu’elle lui enfoncerait avec plaisir un poignard dans le cœur pour gagner dix piastres; il sait bien que son amour n’est qu’une fièvre passagère. Les choses peuvent-elles se passer autrement ? y a-t-il quelque part d’autres femmes, d’autres amours, d’autres fièvres et d’autres réveils ? S’il y en a, il n’est pas curieux de les connaître. Il ignore les joies intérieures, les joies ineffables du sacrifice. Jamais il n’a fait un aveu qui pût lui nuire, et il ne s’est dit : J’ai été fidèle à la vérité! Jamais il n’a préféré la satisfaction d’un autre à la sienne, et il ne s’est dit : J’ai été fidèle à mes affections! Jamais il n’a regardé la mort comme une aurore, l’aurore du jour éternel et sans nuage. Cet homme-là se croit heureux cependant. L’est-il plus que le dernier des mendians à qui il a été donné dans sa vie de savoir ce que c’est qu’aimer, se dévouer, croire et attendre ?

La famille du riche, du noble, du Turc de Constantinople, qui a fréquenté la société franque ou qui a voyagé en Europe, ne présente pas le même spectacle d’immoralité et de turpitude naïve; mais, hélas ! sauf quelques exceptions peu nombreuses, la soie et le brocart ne cachent encore qu’un hideux squelette. Les dames de ces harems de premier ordre ne portent pas durant une semaine ni un mois le même costume froissé et souillé. Chaque matin, au sortir de leur, couches somptueuses, elles quittent les vêtemens de la veille, et les remplacent par de nouveaux atours. Leurs robes, leurs pantalons et leurs écharpes sont de fabrique lyonnaise, et quoique les fabricans européens n’envoient en Orient que les rebuts de leurs manufactures, ces rebuts sont encore d’un fort bel effet lorsqu’ils enveloppent