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les formes magnifiques d’une de ces Géorgiennes ou de ces Circassiennes dont les harems sont peuplés. Qu’importe cependant l’apparence ? La réalité ainsi fardée n’en est pas moins repoussante.

Un mot à ce propos sur les deux races qui représentent à notre imagination inexpérimentée le prototype de la beauté féminine. Grande, forte, la taille bien prise, un teint éclatant, des masses de cheveux noirs et luisans, le front élevé et plein, le nez aquilin, des yeux noirs immenses et fort ouverts, des lèvres vermeilles et modelées comme celles des statues grecques de la bonne époque, des dents de perles, le menton arrondi, le contour du visage parfait, — telle est la Géorgienne. J’admire franchement les femmes de cette race; puis, quand je les ai bien admirées, je détourne la tête et je ne les regarde plus, car je suis sûre de les retrouver, quand il me plaira, exactement telles que je les ai laissées, sans un sourire de plus ni de moins, sans la moindre variation de physionomie. Qu’un enfant lui naisse ou qu’il meure, que son seigneur l’adore ou qu’il la déteste, que sa rivale triomphe ou qu’elle soit exilée, le visage de la Géorgienne n’en dit mot. Je ne sais si les années apportent jamais quelque changement à cette beauté qui tient du marbre, mais dont l’immobile éclat m’impatiente.

La Circassienne n’a ni les mêmes avantages ni les mêmes inconvéniens. C’est une beauté du Nord qui me rappelle les blondes et sentimentales filles de la Germanie; mais la ressemblance ne s’étend pas au-delà des formes extérieures. Les Circassiennes sont blondes pour la plupart; leur teint est d’une fraîcheur charmante, leurs yeux sont bleus, gris ou verts, et leurs traits, quoique fins et gracieux, sont irréguliers. Autant la Géorgienne est sotte et hautaine, autant la Circassienne est fausse et rusée. L’une est capable de trahir son seigneur, l’autre de le faire mourir d’ennui.

La grande occupation de ces dames, c’est la toilette. Aussi les trouvez-vous à toute heure vêtues de crêpe ponceau ou de satin bleu de ciel, la tête couverte de diamans, des colliers à leur cou, des pendans à leurs oreilles, des agrafes à leurs corsages, des bracelets à leurs bras et à leurs jambes, des bagues aux doigts. Quelquefois des pieds nus paraissent à travers la robe de crêpe rouge, et les cheveux sont coupés carrément sur le front comme ceux des hommes de nos pays; mais ce sont là des détails de toilette de peu d’importance. Les manières du beau monde féminin sont censées exprimer le plus profond respect mêlé d’une crainte révérencieuse envers le seigneur du harem. Qu’il entre, et le silence se fait aussitôt; l’une de ses femmes lui ôte ses bottes, l’autre lui met ses pantoufles, celle-ci lui offre sa robe de chambre, celle-là lui apporte sa pipe ou son café ou ses confitures. Lui seul est en possession du droit de porter la parole,