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urgence de supprimer les douanes intérieures pour faciliter l’échange des matières premières qu’elle doit fournir abondamment contre les articles manufacturés des autres pays; mais un tel changement n’était rien moins qu’une révolution sociale : on n’osait pas proposer directement à la noblesse hongroise d’en faire les frais. D’ailleurs tout projet d’assimilation commerciale, cachant peut-être une arrière-pensée de centralisation administrative, de fusion politique avec les provinces allemandes, était suspect et antipathique aux fiers Magyars. Les choses en étaient là lorsque l’Allemagne fut surprise et profondément remuée par les contre-coups des événemens de février.

Quand survient une crise révolutionnaire, la pensée latente au fond des cœurs s’échappe et prend flamme. En 1848, la question du prolétariat, si brûlante en France et en Prusse, n’eut en Autriche qu’un faible retentissement : on s’y passionna avant tout pour l’affranchissement des nationalités, pour l’égalité des races, et cela se conçoit. On a défini fort exactement l’Autriche en disant qu’elle est « une union fédérale de races différentes, gouvernées et administrées par la race allemande. » On distingue dans l’empire autrichien sept peuples principaux, et on y parle vingt idiomes. La tâche traditionnelle de la maison de Habsbourg, son ambition, sa raison d’être a toujours été de rapprocher, de fondre ces populations qui se repoussent, de leur procurer malgré elles le prestige et les avantages d’une grande unité nationale; mais dans cette lutte contre les souvenirs historiques, contre les influences locales, contre les instincts du foyer, que d’atteintes à la liberté, que de blessures faites aux vanités, aux intérêts, aux habitudes ! Dans les froissemens subis çà et là, on s’en prenait toujours à cette malheureuse prétention d’assimiler des élémens dissemblables. Aussi en 1848, quand les liens de subordination se trouvèrent rompus, tous les vœux d’amélioration se résumèrent en un seul cri : affranchissement des races !

Plus qu’aucune autre, la race hongroise tenait à son passé. L’aristocratie magyare, qui n’avait jamais voulu reconnaître autre chose dans l’empereur d’Autriche que le roi héréditaire de Hongrie, crut que le moment était venu de reconstituer fortement sa nationalité. Pour triompher des dernières hésitations de la noblesse, les chefs du mouvement lui firent sentir qu’il était urgent de donner des citoyens à la patrie en affranchissant les paysans. La diète de 1848, réunie à Presbourg, prononça l’abolition de la corvée et de tous privilèges seigneuriaux contraires à l’égalité civile. La féodalité hongroise, se dépouillant elle-même de ses droits héréditaires, concéda gratuitement aux paysans la propriété des terres dont ils n’avaient été jusqu’alors que les tenanciers, et ne se ménagea d’autre dédommagement qu’une indemnité fort éventuelle à retirer de la vente des