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de l’humanité. L’atmosphère sulfureuse au milieu de laquelle se tenait la cour diabolique était si réelle, qu’on croyait sentir l’odeur du soufre ; mais c’était surtout sur le dernier personnage, — l’âme damnée, — que le peintre avait concentré tous les efforts de son imagination. Le désespoir qui se peignait sur les traits de cette figure ne peut être décrit, et, chose étrange, ces traits étaient ceux de Hans Janssen lui-même. Je laissai retomber le rideau devant cette peinture, car ma tête bouillait, et il m’était impossible de supporter plus longtemps ce spectacle.

Hans avait exigé comme dernière volonté que cette peinture fût couverte et emballée par le médecin qui le soignerait dans ses derniers momens pour être envoyée au roi de Danemark. J’accomplis ce vœu, et quelque temps après je reçus une lettre contenant une ample rémunération des soins que j’avais donnés au malade, avec une somme plus que suffisante pour payer le voyage de la femme et des enfans de l’artiste, qui s’embarquèrent pour Copenhague, où ils arrivèrent en sûreté. Bien des années se sont écoulées depuis, mais je n’ai plus reçu aucune nouvelle de la femme et des enfans, non plus que du terrible tableau.


IV. – LE COMEDIEN.

George Harley avait été un de mes camarades d’école, et je l’avais perdu de vue depuis l’époque où j’avais quitté l’école pour le collège. Harley ne brillait pas alors par son assiduité au travail, et il était assez généralement le dernier de la classe, non par défaut d’intelligence certainement, mais par négligence et paresse, par répugnance aussi pour la sécheresse des études auxquelles on nous condamnait. Il avait une vive imagination et était un infatigable lecteur, surtout de drames et de comédies. Pour satisfaire à cette passion, il renonçait souvent à ses récréations, s’emparait de tous les bouts de chandelle qu’il rencontrait, et veillait la moitié des nuits. Il possédait encore la faculté de raconter des histoires réelles ou imaginaires et nous tenait souvent éveillés par ses récits, qu’il débitait de la manière la plus amusante. Ces dispositions lui avaient valu plus d’une fois des punitions sévères, mais qui n’avaient pu le guérir de son goût fatal pour les drames et les romans.

Quelque temps après mon établissement à New-York, je me donnai le rare plaisir d’aller au théâtre avec ma femme. J’ai oublié quel était le drame qu’on représentait, mais un des acteurs avait une voix qui m’était familière sans que je pusse dire où je l’avais entendue. Cependant il me semblait, en tâtonnant dans mes souvenirs,