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la ligne de Hongrie jusqu’au Danube, la reconstruction définitive de quelques ouvrages provisoires, le complément du matériel de traction, la pose de doubles voies, la parfaite installation des usines, exigeront de nouveaux appels de fonds que l’on estime de 50 à 100 millions. Cette dépense supplémentaire sera répartie sur une période de cinq à dix années. Le capital atteindra donc le chiffre de 300 millions au maximum. L’exploitation partielle et imparfaite de 1854 a donné un produit brut de 24 millions : les fondateurs de l’entreprise espèrent qu’après l’achèvement de tous les travaux le revenu net pourra s’élever à 35 ou 40 millions de francs, résultat qui procurerait aux actionnaires un intérêt de 10 à 12 pour 100. Tout est possible, tout est probable lorsqu’il s’agit d’une affaire qui se développe sur un terrain si riche et avec des chances si exceptionnelles.

Qu’on se rappelle la situation de la Hongrie féodale, et qu’on mesure la portée économique des dernières réformes : la terre franche et transmissible, le cultivateur devenu propriétaire, l’impôt également réparti, la garantie de l’égalité devant le code civil, une locomotion facile et accélérée, des moyens de crédit, l’implantation probable de quelques petites colonies industrielles dans ce pays où les Français ont toujours été si cordialement accueillis; qu’on réfléchisse à la nécessité inévitable où sera la Turquie de se transformer profondément, de devenir une véritable puissance européenne, si elle veut vivre en Europe; qu’on observe, dans une perspective un peu plus éloignée, l’Allemagne et l’Inde, le cœur de l’Europe et le cœur de l’Asie, se cherchant à travers l’isthme de Suez qu’on va percer; qu’on s’oublie au spectacle de ces grandes choses que notre génération verra, et on restera persuadé qu’un grand mouvement va s’accomplir dans les régions du Danube, et qu’il en surgira une nouvelle force politique, dont le foyer principal sera la Hongrie. Cette force se constituera-t-elle sous forme de confédération danubienne, comme le voudrait la démocratie, ou par l’expansion de la monarchie autrichienne vers l’Orient, ample dédommagement qui devrait suffire à l’ambition de l’Autriche et la déterminerait peut-être à se dessaisir de l’Italie ? Nous ne savons, et nos conjectures à ce sujet ne seraient pas à leur place ici. Nous insistons seulement sur ce point, qu’une puissance interposée entre la Russie et la Turquie est doublement nécessaire pour contenir l’une et rajeunir l’autre, et que le génie industriel, provoqué par l’établissement des chemins de fer, donnera aux populations de ces contrées la consistance politique qui leur a manqué jusqu’ici pour accomplir leur rôle providentiel.


ANDRE COCHUT.