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on les place : ce serait de les faire vivre. La vérité est qu’il n’y a probablement nulle disproportion entre les armées aujourd’hui en présence sur le sol de la Crimée, et l’échec nouveau que les Russes viennent, dit-on, d’essuyer dans un engagement contre les Turcs, devant Eupatoria, n’est certainement pour eux que le présage de défaites plus décisives le jour où ils rouvriraient une lutte sérieuse avec les armées alliées qui campent auprès de Sébastopol. C’est donc dans ces conditions, en présence d’opérations qui se poursuivent régulièrement et sont près de toucher au but, que pourrait s’accomplir le départ de l’empereur. La présence du chef de l’état serait sans contredit de nature à précipiter l’action, en inspirant une confiance nouvelle à nos soldats. Mais ce n’est point uniquement en Crimée, ni même par la seule force des armes, que la question s’agite aujourd’hui. Elle a un autre théâtre : c’est l’Europe, où toutes les négociations sont nouées, où les relations de l’Allemagne avec les puissances occidentales restent à fixer, où se concentre enfin l’action de la diplomatie. C’est ainsi que les considérations politiques viennent se placer à côté des considérations de la guerre, et en marchant au même but, elles n’ont pas moins d’importance à coup sûr. En ce moment, en effet, nous touchons sans doute à la réunion de la conférence qui doit délibérer sur les garanties de paix stipulées par l’Angleterre, la France et l’Autriche, et acceptées en principe par la Russie. Lord John Russell, chargé de représenter la Grande-Bretagne, a traversé Paris et s’est dirigé sur Berlin, en se rendant à Vienne. Le malheur de ces négociations, c’est de s’ouvrir sans exciter une grande confiance jusqu’ici, et le dernier manifeste de l’empereur Nicolas n’est pas de nature à révéler ses véritables dispositions, la pensée à laquelle il a obéi en acceptant les quatre points de garantie. Le tsar, il est vrai, se montre prêt à traiter avec l’Europe, il parle un langage pacifique, mais en même temps il fait un appel à son peuple et met la Russie tout entière sous les armes, se proposant les exemples de 1812. Où faut-il voir la vraie pensée de l’empereur Nicolas ? Est-ce dans ses paroles, est-ce dans son appel aux armes ? La plus grande difficulté, du reste, on le sait, est dans la manière d’interpréter la condition qui impose à la Russie la cessation de sa prépondérance dans la Mer-Noire, et c’est sur ce point sans doute que s’agitera le véritable débat, pierre de touche de la sincérité et des disposition réelles la Russie.

À cette ouverture des négociations de Vienne se rattache d’ailleurs une autre question qui n’est pas moins sérieuse, celle de savoir quel sera le rôle de la Prusse dans la conférence nouvelle, et le rôle de la Prusse implique ici la conduite de la confédération germanique, toujours partagée entre deux influences, entre deux directions. Malheureusement rien n’indique jusqu’ici que la Prusse ait réussi à formuler, ou qu’elle se soit décidée à accepter les propositions qui ont pu lui être faites. Dès lors sa participation à l’œuvre diplomatique qui va être entreprise à Vienne ne reste-t-elle pas un doute ? Ce n’est pas qu’on n’ait mis un zèle extrême à aplanir tous les obstacles, à désarmer les susceptibilités de la Prusse. Les puissances occidentales, on ne l’ignore pas, se sont montrées disposées à conclure un traité séparé avec le cabinet de Berlin. Cependant la grande difficulté est toujours de savoir la vraie mesure des engagemens que le gouvernement du roi Frédé-