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souveraine et la maîtresse de toutes les combinaisons politiques. C’est elle, à vrai dire, qui domine le gouvernement, qui lui communique son impulsion et le force de compter avec elle, au risque de le jeter dans toute sorte de crises, qui, en se prolongeant, ne pourraient que tourner contre le but commun. Le malheur est venu de ce qu’il n’y a point eu dès l’origine une intime et vigoureuse intelligence entre l’opinion publique anglaise et le gouvernement sur les affaires de la guerre. Il n’y avait d’accord ni sur le but ni sur ks moyens. L’opinion suspectait la tiédeur d’un ministère dont elle connaissait les divisions ; le cabinet à son tour se sentait dépassé par le sentiment populaire, dont il redoutait les illusions et les emportemens. Les désastres de l’armée anglaise sont venus, et le gouvernement a eu à soutenir un choc universel auquel il n’a point résisté. Le cabinet de lord Aberdeen a eu à répondre non-seulement de ses fautes, mais de ce qu’il n’a point fait, du vice des institutions militaires, des lacunes de l’administration, des déception » patriotiques de l’opinion. Ce n’est pas tout cependant. Le nouveau ministère lui-même, recomposé par lord Palmerston, vient de se dissoudre encore une fois. Les peelites qui étaient restés au pouvoir, sir James Graham, M. Gladstone, M. Sidney Herbert, n’ont pas tardé à aller rejoindre lord Aberdeen dans sa retraite, et le ministère sort à peu près entièrement refondu de cette épreuve nouvelle. Lord Palmerston a essayé de reconstituer son administration avec ses amis du parti whig et quelques hommes nouveaux. Lord Clarendon reste l’invariable ministre des affaires étrangères. Sir Cornwall Lewis entre comme chancelier de l’échiquier, sir Charles Wood comme premier lord de l’amirauté, sir George Grey comme ministre de l’intérieur. Enfin lord John Russell, qui avait déjà reçu de lord Palmerston la mission de plénipotentiaire à la conférence de Vienne, rentre au gouvernement comme secrétaire d’état pour les colonies. Le mot de la dernière crise ministérielle est dans la motion d’enquête faite, comme on sait, par M. Roebuck. Que cette enquête fût une mesure extrême, destinée, selon toute apparence, à ne remédier à rien et à soulever des embarras de plus d’un genre, cela n’est guère douteux ; mais il s’agissait de contraindre le parlement à se déjuger et l’opinion à abandonner ce qu’elle considère à tort ou à raison comme une garantie, c’est-à-dire qu’il y avait à engager une lutte qui ne pouvait finir que par la retraite du ministère tout entier ou par la dissolution du parlement et par un appel au pays. Lord Palmerston a cru devoir éluder cette alternative. Il a tout simplement accepté une transaction qui consiste à composer la commission d’enquête de membres désignés mi-partie par la chambre des communes, mi-partie par le gouvernement.

Que produira cette enquête ? Ceci est l’affaire de l’avenir ; mais lord Palmerston s’est mis en règle avec l’opinion publique et le parlement, en se résignant à une mesure qu’il ne pouvait pas empêcher. Seulement c’est ici qu’a éclaté le dissentiment entre le chef du cabinet et ses collègues, sir Jamet Graham, M. Gladstone et M. Sidney Herbert, très décidément opposés à la motion de M. Roebuck, aujourd’hui comme aux derniers momens du ministère Aberdeen. À vrai dire, c’était plus particulièrement pour eux une affaire personnelle ; c’était une sorte de sentence rendue contre eux, et qui suivait son cours tandis qu’ils étaient au pouvoir. Le résultat est donc un