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par le général Bedeau à la cavalerie marocaine, et enfin à cette mémorable bataille d’Isly, qui rappelle à la fois et la journée des Pyramides et les combats de Marins contre les Cimbres. On les retrouvait partout avec leurs gros bataillons toujours nombreux, toujours bien commandés, leur tenue martiale et soignée, leurs fanfares éclatantes, la même solidité, le même élan.

Voyez-les approcher du bivouac; quelques hommes sortent des rangs, et courent à la source voisine pour remplir les bidons d’escouade avant que l’eau n’ait été troublée par le piétinement des chevaux et des mulets. Les fagots ont été faits d’avance et surmontent déjà les sacs. La halte sonne, le bataillon s’arrête et s’aligne sur la position qui lui est assignée; la compagnie de grand’garde est seule en avant. Tandis que les officiers supérieurs vont placer les postes eux-mêmes, les faisceaux se forment sur le front de bandière, les petites tentes[1] se dressent, les feux s’allument comme par enchantement. Les corvées vont à la distribution des vivres, des cartouches; les hommes de cuisine sont à l’œuvre; d’autres coupent du bois, car il en faut faire provision pour la nuit; d’autres fourbissent leurs armes; d’autres encore réparent leurs effets avec cette inévitable trousse du soldat français qui d’abord faisait sourire, dit-on, nos alliés en Crimée. Cependant la soupe a été vite faite; on n’y a pas mis la viande de distribution, destinée à bouillir toute la nuit pour ne figurer qu’au repas de la diane. La soupe du soir se fait avec des oignons, du lard, un peu de pain blanc, s’il en reste, ou, si l’ordinaire est à sec, elle se fait au café, c’est-à-dire que le café liquide est rempli de poussière de biscuit et transformé en une sorte de pâte qui ne serait peut-être pas du goût de tout le monde, mais qui est tonique et nourrissante ; ou bien encore le chasseur, le pêcheur de l’escouade, ont pourvu la gamelle qui d’un lièvre, qui d’une tortue, qui d’une brochette de poissons; nous ne parlons pas de certains mets succulens savourés parfois en cachette, une poule, un chevreau, dont l’origine n’est pas toujours très orthodoxe. La soupe est mangée; on a fumé la dernière pipe, chanté le joyeux refrain. Tandis que les camarades de tente s’endorment entre leurs deux couvertes, la grand’garde change de place en silence, car sa position aurait pu être reconnue. Le factionnaire qu’on voyait au haut de cette

  1. Voici encore une invention qui avait été promptement adoptée par les zouaves, mais qui n’est pas de leur fait. Ce sont des soldats du 17e léger qui les premiers eurent l’idée de découdre leurs sacs de campement et d’en faire des abris, en les réunissant deux par deux avec des ficelles que soutenaient des bâtons. L’expérience ayant réussi, le colonel Bedeau, avec cet esprit d’ordre qu’il apportait à tout, régularisa ce mode d’abri, et le fit adopter à tout son régiment. Les autres corps ne tardèrent pas à suivre cet heureux exemple. Le transport des grandes tentes ayant été depuis longtemps reconnu impraticable, dans des opérations rapides, sur un vaste échiquier, on comprend facilement quelles ressources présentent ces tentes-abris.