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colline a disparu; mais suivez l’officier de garde dans sa ronde, et, malgré l’obscurité, il vous fera distinguer, sur la pente même de cette colline, un zouave couché à plat ventre tout près du sommet qui le cache, l’œil au guet, le doigt sur la détente. Un feu est allumé au milieu de ce sentier qui traverse un bois, et qu’un petit poste occupait pendant le jour; mais le poste n’est plus là. Cependant le maraudeur, l’ennemi qui s’approche du camp pour tenter un vol ou une surprise, s’éloigne avec précaution de cette flamme autour de laquelle il suppose les Français endormis; il se jette dans le bois, et il y tombe sous les baïonnettes des zouaves embusqués, qui le frappent sans bruit, afin de ne pas fermer le piège et de ne pas signaler leur présence aux compagnons de leur victime.

Une nuit, une seule nuit, leur vigilance fut en défaut, et les réguliers de l’émir, se glissant au milieu de leurs postes, vinrent faire sur le camp une décharge meurtrière. Le feu fut un moment si vif, que nos soldats surpris hésitaient à se relever; il fallut que les officiers leur donnassent l’exemple. Le maréchal Bugeaud était arrivé des premiers; deux hommes qu’il avait saisis de sa vigoureuse main tombent frappés à mort. Bientôt cependant l’ordre se rétablit, les zouaves s’élancent et repoussent l’ennemi. Le combat achevé, le maréchal s’aperçut, à la lueur des feux du bivouac, que tout le monde souriait en le regardant : il Porte la main à sa tête, et reconnaît qu’il était coiffé comme le roi d’Yvetot de Béranger. Il demande aussitôt sa casquette, et mille voix de répéter : La casquette, la casquette du maréchal! Or cette casquette, un peu originale, excitait depuis longtemps l’attention des soldats. Le lendemain, quand les clairons sonnèrent la marche, le bataillon de zouaves les accompagna, chantant en chœur :

As-tu vu
La casquette,
La casquette ?
As-tu vu
La casquette
Du père Bugeaud ?

Depuis ce temps, la fanfare de la marche ne s’appela plus que la casquette, et le maréchal, qui racontait volontiers cette anecdote, disait souvent au clairon de piquet : « Sonne la casquette. »

Le jour a donc reparu; la colonne se remet en marche. Sommes-nous au mois de juin ou de juillet ? fait-on une halte de quelques minutes ? Les turbans et les ceintures jetés sur les faisceaux abritent les zouaves du soleil sans les soustraire au souffle vivifiant de la brise. La pluie tombe-t-elle à torrens ? Protégé par son collet à capuchon et par les larges plis de sa culotte, le zouave défie longtemps l’humidité pénétrante. Il faut bien savoir se garantir et de l’été et de l’hiver.