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par la porte Capène; les-Albains ont quitté le bord de leur lac. Tous regardent avec anxiété les vicissitudes du combat, dont nous pouvons suivre nous-mêmes tous les détails, tant ils ont été vivement retracés par Tite-Live et après lui par Corneille.

Parmi les Romains, nous apercevons le vieil Horace, qui n’est pas resté entre les murs de sa maison, où l’a retenu seulement dans la tragédie française la nécessité de trouver pour le récit du combat un auditeur intéressé. Peut-être même Camille, qui s’appelait Horatia, est-elle cachée derrière la foule et éprouve-t-elle, en voyant couler le sang de son fiancé, ce désespoir qui lui fera maudire la victoire de son frère.

Le Curiace qui combat ici n’est pas, comme l’appelle Corneille, un gentilhomme d’Albe. C’est un guerrier qu’on a choisi, ainsi que ses frères, non parmi les mieux nés, mais parmi les plus courageux et les plus robustes. Voici qu’un Horace, resté seul contre trois assaillans, prend la fuite : d’un côté des cris de joie s’élèvent dans cette vaste campagne, de l’autre des cris de fureur, le vieux père maudit son fils; mais sa fuite était une feinte, une de ces ruses de sauvage, comme on en voit chez les Mohicans de Cooper. Horace, qui n’est pas plus un gentilhomme de Rome que Curiace n’est un gentilhomme d’Albe, égorge sans merci ses trois ennemis l’un après l’autre. C’est près d’ici que tous trois tombèrent et qu’ils durent être ensevelis, et il ne faut pas aller chercher le lieu de leur sépulture sur la colline qui domine Albano, bien qu’on y donne à un tombeau étrusque le nom de tombeau des Curiaces. Horace revient tout sanglant dans Rome, faisant porter devant lui les dépouilles des ennemis qu’il a immolés. A la Porte Capène, il rencontre sa sœur. Celle-ci, avec l’emportement et l’énergie que montrerait en pareille circonstance une Romaine de nos jours, reproche à son frère vainqueur la mort de son amant. Aujourd’hui le frère répondrait certainement par un coup de couteau. Horace plonge son glaive dans le sein de sa sœur. La différence des temps se fait sentir en un seul point. Le Romain qui aurait donné le coup de couteau s’esquiverait, protégé par l’intérêt de la foule; mais sous Tullus Hostilius la justice était plus sévère, et Homce est condamné à mort. Tout le récit de Tite-Live est admirable; les formules antiques du droit romain, horrendum carmen, ont une solennité sombre. Le père s’élance, il parle. Son discours, que surpasse peut-être encore celui que Corneille a mis dans sa bouche, est plein de vivacité et de force. Tite-Live, Corneille, la mémoire et l’imagination vont de l’un à l’autre, et notre vieux Romain semble parfois contemporain de la tragédie que ce lieu rappelle. Si les effusions langoureuses de Curiace choquent un peu en présence des terribles souvenirs de la Rome primitive, le qu’il mourut ! ce mot