Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’élève à côté du Palatin, presque aussi peu habitée que l’Aventin, mais moins triste que lui, représentons-nous comment se passèrent les choses au temps où fut là un oppidum étrusque occupé à la suite des luttes entre les Romains et les Sabins, entre le Palatin et le Quirinal, par ce chef venu d’Étrurie, dont les Romains ont fait un personnage d’origine romanesque et controversée, et qu’ils ont appelé Servius Tullius.

La naissance de Servius Tullius est racontée de diverses manières : les uns lui donnent pour mère une esclave, probablement par un de ces jeux de mots étymologiques qui ont introduit tant de fables dans l’histoire, à cause de la ressemblance du nom de Servius et du mot servus (esclave) ; les autres, jaloux de relever la naissance d’un roi de Rome, l’ont fait naître d’une princesse réduite en esclavage, comme, dans les romans de chevalerie, les aventuriers qui parviennent au trône se trouvent toujours de lignée royale. L’enfance de Servius Tullius est entourée de prodiges. Pendant qu’il dormait, on vit sa tête environnée de flammes, miracle renouvelé de l’enfance d’Ascagne. Il fallait remplacer par des récits fabuleux l’histoire véritable de l’origine étrusque de ce roi, et faire disparaître par ce nom, au moins en partie romain, de Servius Tullius le nom étrusque de Mastarna.

Mastarna fut, selon toute vraisemblance, un chef de bande, le premier ancêtre des condottieri toscans du moyen âge; il était venu chercher fortune au milieu des guerres qui armaient les uns contre les autres Romains et Sabins, comme l’avaient fait avant lui d’autres chefs étrusques, et notamment son grand-père, au temps de Romulus. Il campa avec son monde au milieu des chênes du Cœlius, à peu près comme Robin Hood campait dans les forêts de Sherwood. Il semble avoir été une espèce d’outlaw en révolte contre l’aristocratie sacerdotale de l’Étrurie, car, comme le remarque M. Müller[1], les conditions pécuniaires sont partout mises dans sa constitution à la place des formalités religieuses. Mastarna laissa, comme Robin Hood, une mémoire populaire. Le peuple aime les hommes de fortune, ennemis des riches et des puissans, et qui le vengent un moment de ceux qui l’oppriment; il paraît que Mastarna devint assez redoutable à la noble famille étrusque qui gouvernait la population des autres collines pour s’allier avec elle.

Le meurtre du parvenu tué par un membre de cette orgueilleuse famille et la complicité de sa fille Tullie, épouse de Tarquin, furent l’effet de la superbe patricienne offensée, inspirant ses fureurs à Tullie elle-même, et prenant une atroce revanche de l’humiliation

  1. Die Etrusker, t. Ier, p. 387.