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qu’ils prennent en abondance, c’est du café, de la tisane de café, dans laquelle entre beaucoup d’eau, très peu de moka et passablement de chicorée. Vous ne verrez guère un homme ou une femme, même un enfant, descendre dans la fosse sans avoir à la main un marabout en fer-blanc rempli de cette liqueur noire destinée à charmer les ennuis des travaux nocturnes. Des hommes de l’art ont cru que le café pris dans ces conditions et dans cette quantité avait pour conséquence de ralentir dans l’estomac le travail de la digestion. Cette boisson ne serait point, à leur point de vue, un moyen de nourriture pour les ouvriers mineurs : ce serait un antidote qui les empêcherait de se dénourrir. Du côté de Mons, les hommes et les femmes font bouillir leur eau et préparent leur café à des fontaines de gaz hydrogène qui coulent à la surface du sol : ces jets de matière inflammable proviennent, selon toute vraisemblance, d’anciens travaux souterrains. Les mineurs qui ont connu l’existence de tels réservoirs, ou, comme on dit en Chine, de telles sources de feu, contraignent ainsi les cavités de la terre à leur servir de fourneau. La privation de nourriture fortifiante et les excès de travail s’associent fatalement, pour les ouvriers des charbonnages, avec l’ivresse du dimanche. Les excès de boisson, et par boisson il faut entendre le genièvre, la bière, quelquefois le vin, altèrent le moral et la santé des mineurs belges. On est tenté de se montrer indulgent envers cette intempérance, quand on songe que plus l’homme se livre à un travail morose, plus il a besoin de distractions. Il est regrettable sans doute que l’ouvrier de la houille, cet homme à part pour lequel le jour et la nuit sont des mots dénués de sens, cherche à la nature farouche de ses devoirs une compensation si grossière; mais si sa conduite mérite le blâme, il ne faut point perdre de vue que l’auteur de ces désordres en est la première victime, et alors on se sentira plus disposé à le plaindre qu’à le condamner. La fatigue d’un vil plaisir ajoutée à la fatigue de travaux pénibles et utiles devient une source de débilitation organique, et entraîne pour le mineur ainsi que pour sa famille les conséquences les plus fâcheuses. C’est une raison entre mille pour regretter qu’une certaine culture morale ne le mette point à même de trouver, soit dans la lecture, soit dans la vie domestique, des délassemens plus dignes de l’homme et moins contraires à sa santé.

En face des causes de mort, les unes volontaires, les autres involontaires, qui entourent cette classe de travailleurs, il semble que la prévoyance devrait être chez eux un sentiment naturel et unanime; nous sommes pourtant forcé de dire que cette vertu économique n’entre guère dans les qualités de l’ouvrier mineur. Cela tient à la position subalterne et passive de la femme : le charbonnier est maître chez lui; mais il porte la peine de son autorité absolue en ce qu’il