Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une gouvernante aussi excentrique que son maître. Le lendemain, j’allai au rendez-vous. Une vieille gouvernante à la figure maussade et à l’aspect rechigne m’ouvrit la porte.

— M. W… demeure-t-il ici ? demandai-je.

— Qui êtes-vous ?

— Je suis le docteur***, et je suis venu à la demande de M. W…, que j’ai rencontré hier.

— Entrez, dit-elle. Elle me laissa dans le corridor, et monta sans doute pour prévenir son maître. Il dut y avoir entre eux une longue conversation, car j’attendis bien dix minutes, et je commençais à m’ennuyer fort, lorsqu’une voix me cria : — Vous pouvez monter, mais essuyez vos pieds sur le paillasson, et ne salissez pas les escaliers.

Je montai l’antique escalier, et je remarquai que tous les objets d’ameublement dataient d’un demi-siècle au moins. Je fus introduit dans une chambre très sombre, et j’aperçus ma vieille connaissance assise devant le feu et lisant un vieux livre poudreux et piqué des vers que je reconnus pour l’avoir vu récemment à la boutique de mon ami le bouquiniste.

— Ah ! vous voila, me dit le vieux gentleman en consultant une grande montre en forme d’oignon, qui aujourd’hui attirerait la curiosité publique, si on l’exposait au musée de Barnum. Vous êtes en retard de dix minutes. J’aime que les jeunes gens soient exacts. Ils l’étaient de mon temps.

Je lui répondis que j’avais attendu au moins dix minutes dans le corridor pendant que la gouvernante annonçait mon arrivée, et que dix heures sonnaient comme je frappais à la porte.

— Ah ! oui, me dit-il, ces femmes bavardent et clabaudent perpétuellement. Elles savent le fort et le faible de chaque chose. Mais que faites-vous là debout, la bouche béante comme un nigaud ? Je vous ai fait appeler pour guérir ma toux, si cela vous est possible. Prenez une chaise, mon garçon.

La conduite excentrique du vieux gentleman m’amusait en dépit de sa brusquerie, et je fis comme il le désirait. Après lui avoir adressé quelques questions auxquelles il répondit d’un ton passablement bourru, je reconnus que sa toux céderait facilement à certains remèdes, et que depuis longtemps elle aurait disparu sans ses imprudentes promenades au grand air. Je restai quelques instans causant, ou plutôt m’efforçant de faire causer le vieux gentleman, mais sans succès : aussitôt qu’il avait répondu à mes questions, il reprenait son livre. Les murs de l’appartement étaient garnis de rayons tous encombrés de vieux bouquins en parfaite harmonie avec les vieux meubles et l’atmosphère d’antiquité qui environnait l’excentrique malade. Le volume qu’il lisait était un Traité sur le mariage par