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pas un médiocre avantage pour l’Angleterre qu’une révolution qui amènerait le courant principal du commerce du globe à passer sous les batteries de ses forteresses et de ses vaisseaux. Sont-ce bien d’ailleurs les marines de la Méditerranée dont l’Angleterre a le plus à redouter les attaques dans les Indes ? Il suffit d’une clairvoyance vulgaire pour prévoir que si elle est un jour sérieusement attaquée dans l’Inde, ce sera par la Russie du côté de la terre et par l’Amérique du Nord du côté de la mer. Dans l’un et l’autre cas, le salut de ses établissemens pourra dépendre de l’abréviation de sa ligne d’opérations.

Les Grandes-Indes ne sont pas la seule possession britannique dont le passage par Suez abrégera la route; l’Australie n’en profitera pas moins, et il serait d’autant plus nécessaire de faciliter la défense de cette contrée, qu’elle deviendra, si le percement de l’isthme de Panama s’effectue, plus accessible aux navires de guerre des États-Unis.

Des considérations d’un ordre plus élevé doivent d’ailleurs rassurer l’Angleterre sur les agressions qui partiraient de la Méditerranée. Les motifs de s’attaquer aux colonies se sont fort atténués partout où le régime d’exclusion a cessé de leur être appliqué. Lorsqu’il fallait être Anglais pour commercer dans l’Inde, Espagnol pour aborder au Mexique, la possession de ces rivages défendus devait allumer d’ardentes convoitises. La France a la première inauguré en Algérie le système de libérale admission des étrangers; en ouvrant à tous, sans distinction d’origines ni de langages, les portes de sa conquête, elle l’a placée sous la sauvegarde de la chrétienté. Il en est aujourd’hui de même ou peu s’en faut dans l’Inde anglaise, et peu importe que la Grande-Bretagne la garde, si tout le monde en jouit. Plus l’affluence des marines de la Méditerranée sera grande dans les mers de l’Inde, plus les peuples auxquels elles appartiennent seront intéressés au maintien d’une domination également hospitalière pour tous dans ces contrées lointaines. Les agressions dont celles-ci seraient l’objet auraient à Marseille, à Gênes, à Trieste, à Constantinople, le même retentissement qu’à Londres, et donneraient aux Anglais, s’ils ne les avaient pas, des frères d’armes dont la loyauté n’est pas plus douteuse que la vaillance. Enfin, si, malgré tant de motifs de sécurité, les progrès de l’établissement indien exigeaient que le système de défense en fût fortifié, qui pourrait s’en étonner ou s’en plaindre, et l’accroissement des ressources ne balancerait-il pas celui des charges ?

Il est permis de conclure de ces observations que l’ouverture de l’isthme de Suez risquerait peu d’affaiblir la puissance militaire des îles britanniques. Pour qu’elle compromît leur puissance