Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mer-Noire, que la Grande-Bretagne s’honore d’avoir réclamée la première. Ce seraient deux applications également fécondes d’un principe hautement adopté; elles se fortifieraient réciproquement, et leur simultanéité ajouterait à la solidité de la prochaine pacification de l’Orient.

Ceux qui se livrent aux recherches que nous avons essayé de résumer ici sentent mieux que personne combien il reste encore à faire pour les rendre complètes; mais s’ils en ont dit assez pour signaler à la sympathie des gouvernemens et des peuples la grandeur de l’entreprise dont les siècles passés ont légué le projet au nôtre, leur but est atteint. La mission providentielle de notre âge semble être d’effacer les distances et de rapprocher les peuples par tous les moyens qu’offrent les applications des sciences physiques et la puissance du travail. Le percement de l’isthme de Suez l’emporterait en efficacité sur tout ce que les hommes ont jamais accompli de semblable; il coûterait moins que le chemin de fer de Paris à Lyon, et ferait tressaillir, de la Baltique aux îles de la Sonde, des côtes d’Irlande à celles de la Chine, cent nations différentes. Le mandarin gouverneur de la ville de I-tou-hien demandait naguère à un de nos missionnaires quand les gouvernemens européens réaliseraient le projet de couper l’isthme de Suez pour joindre l’Océan à la Méditerranée : des avertissemens venus de si loin ont droit de trouver parmi nous de l’écho, et l’on peut avoir la confiance qu’il y sera noblement répondu. Mais, répétons-le, l’abréviation matérielle d’une route qui doit réunir deux mondes aussi différens que celui de l’Inde et celui de l’Europe n’est que la moitié du bienfait que la chrétienté doit attendre de l’ouverture de l’isthme, et les bénédictions de l’avenir sont assurées aux gouvernemens dont la sagesse et la prévoyance établiront, par la consécration solennelle de la neutralité du passage, un monument indestructible de paix entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie.


J.-J. BAUDE.