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porte partout avec elle. Il est vrai que là encore se retrouve le génie particulier de la nation, car le fantassin français devient promptement, soit ouvrier, soit terrassier, même sans une éducation préalable. Comme on le disait dernièrement dans un journal, une armée française porte en elle tous les arts et métiers, partout elle peut se suffire à elle-même, elle est toute une civilisation.

Eh bien ! à force de travail, de soins, de persévérance, et de cette patience qu’il poussait jusqu’au génie, Wellington était parvenu à donner à son armée une organisation telle qu’il disait plus tard : « Je serais allé partout, et j’aurais fait tout avec une pareille armée. Il était impossible d’avoir une machine mieux montée et en meilleur ordre… » Mais, une fois la guerre finie, l’Angleterre démonta la machine, et retourna à sa vieille opinion, à savoir qu’une armée signifie des soldats, comme une flotte signifie des bateaux. Tous les établissemens que Wellington avait si laborieusement créés furent sacrifiés sans pitié par les rogneurs de budgets, à tel point que lord Hardinge, aujourd’hui commandant en chef des forces, a pu dire dernièrement dans la chambre des lords : « Quand j’étais grand-maître de l’ordonnance sous le duc de Wellington, l’artillerie était tombée si bas, qu’il n’y avait pas dans tout le pays plus de quarante ou cinquante pièces, et celles-là tellement pourries, que si on les avait attelées à quatre chevaux dans un champ de labour, je suis sûr que presque toutes auraient été mises en morceaux… » Sir Francis Head rappelait aussi qu’en 1850, quand la France avait quatre cent huit mille hommes sous les armes, et une artillerie de plus de treize mille hommes, il n’y avait dans toute la Grande-Bretagne, en infanterie, cavalerie, génie et artillerie, que trente-sept mille huit cent quarante-trois hommes, et au plus quarante canons en état de service. On connaît les inquiétudes incessantes que cette désorganisation de la force militaire de l’Angleterre causait au vieux duc de Wellington ; on connaît ce cri prophétique qu’il jeta quelques années avant sa mort : « Je suis arrivé, écrivait-il, à la soixante-dix-septième année d’une vie passée dans l’honneur. J’espère que le tout-puissant m’épargnera d’être le témoin de la tragédie contre laquelle je ne puis persuader à mes contemporains de se mettre en garde. »

L’influence de Wellington lui-même ne put lutter contre les tendances économiques et contre la prépondérance industrielle du siècle. Il faut remarquer aussi que la position géographique de l’Angleterre la soumet moins que tout autre pays à la nécessité d’un établissement militaire permanent, et c’est ce qu’explique très bien l’historien anglais de la révolution et de l’empire, Alison, quand il dit : « Quoique la guerre durât déjà depuis dix-huit ans, le gouvernement anglais, grâce à notre situation insulaire et à notre invincible