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marine, était encore un vrai novice, et il fallait littéralement apprendre leur métier aux fonctionnaires subalternes de tous les départemens, quand ils étaient en présence de l’ennemi. Il n’y a là rien de surprenant : c’est le résultat naturel des circonstances particulières du peuple anglais, de sa puissance inabordable, de ses habitudes maritimes, de son gouvernement populaire, et de son caractère commercial. En temps de paix, il relâche invariablement les nerfs de la guerre, et aucune leçon de l’expérience ne peut lui persuader de prendre des mesures à l’avance pour s’épargner des désastres ou s’assurer des succès. » Telles sont les causes qui font que l’Angleterre n’est jamais prête pour la guerre ; c’est pour elle une pièce qu’elle apprend en la jouant, et qu’elle n’a jamais pris la peine de répéter. À ces dispositions particulières du peuple anglais il faut joindre l’ascendant irrésistible pris depuis quarante et surtout depuis vingt-cinq ans par les idées économiques et industrielles. Ce n’est point nous qui regarderons comme un mal la prépondérance acquise par l’esprit de paix, de travail et de civilisation ; nous dirons même qu’il est profondément injuste de faire retomber sur le parti des économistes la faute de la faiblesse militaire de l’Angleterre. Pour juger la question, il suffit de comparer ce qu’est aujourd’hui l’Angleterre à ce qu’elle était en 1815. Elle a à peine réduit sa dette, c’est possible ; mais qu’importe, si elle-même est vingt fois plus solvable ? Elle a d’année en année réduit les budgets de la guerre ; mais l’argent détourné de cette application stérile n’est-il pas allé féconder les sillons de l’industrie ? Si en ce moment elle a des établissemens militaires inférieurs à ceux qu’elle avait à la fin de l’empire, n’a-t-elle pas vingt fois, cent fois plus de ressources, plus de puissance productrice, pour en recréer de nouveaux ? D’ailleurs, si elle avait conservé les anciens, qu’en aurait-elle fait ? On comprend que sur le continent on garde le pied de guerre, parce qu’on s’en sert toujours, et que par conséquent on le renouvelle toujours. Mais si l’Angleterre avait conservé son organisation militaire depuis quarante ans, mis ses canons sous verre et empaillé ses chevaux, elle se serait retrouvée aujourd’hui avec tout un musée d’artillerie qui aurait eu l’air emprunté au moyen âge. Par exemple, elle a conservé, et le mot se trouve juste, son personnel militaire, et on a vu ce qu’elle y a gagné !

L’Angleterre n’a donc pas à regretter d’avoir remplacé par la machine à vapeur cette autre « machine » si bien montée et si bien réglée qui faisait l’admiration du duc de Wellington, mais qui avait naturellement le même âge que lui. Les Anglais n’aiment point les placemens improductifs ou oisifs ; ils ne comprennent pas les choses qui ne servent à rien. Pendant quarante ans, ils ont travaillé, inventé,