Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

détourner l’eau de son voisin et pour la diriger sur son propre champ. Aussi, dans quelques localités, l’autorité municipale (les cheiks) s’est-elle crue obligée d’établir, en certaines saisons, une garde permanente pour veiller à ce que personne ne détournât à son profit les eaux qui ne sont pas à lui, ou dont la jouissance ne lui est attribuée qu’à des jours et à des heures fixés d’avance.

Parmi les auteurs musulmans qui se sont principalement occupés de la législation des cours d’eau se trouve Abitayeb-el-Lagawi, dont le livre, intitulé l’Arbre des perles, divise cette législation en dix questions qu’il traite successivement, s’appuyant sur les usages du pays et sur des interprétations du Coran. Il n’entre pas dans mes vues de développer ici, avec tous les détails qui s’y rattachent, les doctrines de la législation arabe sur l’usage des eaux courantes. Je me borne à faire remarquer que les Arabes, qui sont les créateurs des principaux systèmes d’irrigations par lesquels une partie de l’Espagne est fertilisée, ont dû y laisser en partant le corps des règlemens relatifs à ces irrigations.

La plaine de Damas est une preuve incontestable de ce que peut la terre de Syrie quand elle est arrosée, de ce que pourrait par conséquent la terre de nombreuses parties du désert, si elle possédait de l’eau. En effet, si Damas est une des plus anciennes villes du monde, si la Genèse en parle déjà au temps d’Abraham, c’est que les irrigations empruntées aux deux rivières qui traversent son territoire avaient presque dès les premiers temps fait apprécier l’importance d’une situation sans pareille en Orient. Qu’on supprime par la pensée ces deux cours d’eau, appelés l’un le Barada et l’autre l’Awach, et la plaine de Damas, aux cultures si riches, si variées, devient tout aussi aride que le désert, dont, elle n’est d’ailleurs qu’une des extrémités.

La configuration des terrains de la Syrie, depuis les côtes de la Méditerranée jusqu’au désert, nous indique en partie la raison du petit nombre de cours d’eau qui en proviennent : elle nous explique aussi le peu d’importance de ces cours d’eau, surtout de ceux qui prennent soit la direction est, soit la direction ouest. Du rivage de la Méditerranée jusqu’au rivage du désert, si l’on peut ainsi parler, c’est-à-dire depuis le pied du Liban à l’ouest jusqu’aux extrémités de l’Anti-Liban à l’est, la distance n’est pas grande, puisqu’elle est facilement parcourue à cheval, et au pas, en trente heures tout au plus. Néanmoins, si cette masse de montagnes ne formait qu’une seule chaîne, ce serait, au point de vue hydrologique, un massif assez important; mais elle forme sur une assez longue étendue deux chaînes bien distinctes, dont je vais essayer de donner une idée. En partant de la mer, soit de Beyrouth, soit de Tripoli, le Liban s’élève d’une