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gravement près de nous et montèrent au village, où j’envoyai aussitôt pour savoir ce que tout cela signifiait.

Un acte pareil à celui que ces Bédouins venaient de commettre à l’égard de champs cultivés exciterait partout en Europe les plus vives réclamations; mais en Judée on est tellement façonné à plier devant la force, et la force s’y exerce parfois si stupidement, qu’on en est venu à croire que passer à cheval à travers des champs de céréales en voie de maturité, ce n’est pas endommager la récolte. Or sait-on quelle raison ont ordinairement les cavaliers pour agir avec un tel sans-gêne ? Quand les mouches fatiguent leurs chevaux, ils les mènent dans les champs pour que la tête des épis, déjà haute et suffisamment résistante, balaie le ventre de ces animaux et en chasse ainsi les insectes.

J’appris bientôt que les Bédouins en question étaient l’avant-garde de la tribu des Beni-Sacker, et que la tribu tout entière arriverait le soir pour prêter main-forte aux habitans de Sanour, que devaient attaquer des gens des communes environnantes. Mon premier soin fut de donner l’ordre de seller et de brider pour partir aussitôt, n’ayant nulle envie soit d’assister au combat, soit même d’assister à ses préparatifs. Nous avions à peine fait un quart d’heure de chemin, lorsque s’offrit à nous la preuve que la guerre était déjà régulièrement déclarée, car les troupeaux des communes ennemies dévoraient, conduits par des gardiens en armes, des récoltes appartenant au village que nous venions de quitter. Le soir, de Djenin, où nous passâmes la nuit, nous entendîmes la fusillade, et nous apprîmes plus tard qu’il y avait eu dans le combat un assez grand nombre de tués et de blessés. Évidemment, si les villages en hostilité n’avaient pas compté les uns et les autres sur l’appui de leurs amis du désert, ils auraient eu recours, pour régler leur différend, à l’autorité turque, et ce différend n’aurait pas eu d’aussi regrettables résultats.


III.

Les divers gouvernemens qui, dans ces derniers temps, ont exercé l’autorité en Syrie, pour n’avoir pas pris toutes les mesures propres à empêcher l’immixtion des Bédouins du désert dans les différends qui s’élèvent entre les populations sédentaires, n’en ont pas moins cherché à remédier au mal. C’est ainsi qu’ils ont poussé certaines tribus nomades à devenir sédentaires, à se coloniser; pour cela, ils leur ont offert la jouissance de pâturages persistans, promettant à ces tribus appui et secours de la part des troupes régulières. Telles sont les tribus arabes établies auprès du plateau du Ledja, au sud-est de Damas, plateau qui commande une partie du désert; telle est une