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tribu turcomane établie à Keneitra, au pied du Dgebel-el-Cheik, d’où elle devait couvrir les abords du Jourdain, en avant du pont des Filles-de-Jacob. Malheureusement cette dernière tribu, modifiée autant par le sentiment de sa faiblesse numérique que par son état sédentaire, n’étant plus animée par l’énergie et la résolution qui inspirent le respect aux Arabes, mène la vie pastorale et s’adonne à quelques industries dont elle vend les produits à Damas. Le terrain sur lequel ces Turcomans sont établis est un vaste plateau, situé au sud-est du Dgebel-el-Cheik et semé çà et là de grands cônes naturels. Les femmes de cette tribu transforment la laine de leurs troupeaux en tapis à dessins originaux; les hommes font aussi des quantités considérables de charbon, et cette dernière industrie donne à toute la contrée, à certaines époques de l’année, un aspect très singulier, car, pour mieux activer la combustion du bois, on le porte, à l’aide de chameaux, jusque sur les sommets des cônes volcaniques dont je viens de parler. Lorsque le voyageur passe par là au moment où la fabrication du charbon est en pleine activité, les couches de laves éteintes que foule le pied de son cheval, les fumées bleuâtres qui, en s’élevant, couronnent les pics volcaniques, le porteraient à croire que les feux souterrains, éteints depuis si longtemps, viennent de se réveiller, et vont renouveler les grandes scènes de conflagration d’autrefois.

Les Turcomans de Keneitra, amenés naturellement à des habitudes de paix et de repos, sont donc loin de répondre aujourd’hui aux espérances qu’on avait fondées sur eux à l’époque de leur établissement sur ce terrain riche en pâturages. Aussi les Arabes, encouragés par des dispositions si pacifiques, viennent de temps à autre enlever les troupeaux de cette tribu et dépouiller les voyageurs jusque sur le territoire dont la police lui est confiée. Dans presque toutes les circonstances de ce genre, les gouverneurs de Damas demandent compte aux Turcomans de méfaits qu’ils n’ont pas commis, il est vrai, mais que du moins ils n’ont pas empêchés, et des troupes sont envoyées pour les châtier. L’établissement de Keneitra, ainsi placé entre les déprédations des Arabes et la responsabilité qu’on fait peser sur lui, ne peut manquer de disparaître, et le système de colonisation des tribus nomades restera, on peut l’affirmer dès ce moment, sans succès de ce côté.

La colonisation de deux ou trois tribus arabes, du côté de Ledja, a mieux répondu à l’attente du gouvernement turc. Les Bédouins de Ledja ont l’avantage d’être arabes et, à ce titre, de commander, je crois, plus de respect aux nomades, parce qu’ils ont des alliances de fraternité avec certaines portions des Anezis, à quoi il faut ajouter qu’ils n’ont qu’en partie renoncé à la vie nomade, car si dans