Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1314

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les fabricans belges et la Russie par l’intermédiaire de sujets prussiens. Quelque peu importans que soient par eux-mêmes ces actes, ils peuvent cependant être considérés comme un symptôme. Dans quel moment d’ailleurs l’union de tous les conseils et de toutes les forces fut-elle plus nécessaire et plus propre à devenir efficace ? Qui pourrait douter que si l’Europe se présentait compacte et solidaire dans ses résolutions aux conférences de tienne, les chances de la paix ne fussent aussitôt doublées, et que les dispositions conciliantes que les cabinets de l’Occident sont décidés à porter dans ces conférences ne pussent conduire à un résultat favorable ?

Quoi qu’il en soit, au milieu de l’incertitude qui dure encore, les deux puissances qui ont pris les premières l’initiative de la défense européenne, l’Angleterre et la France, restent unies par tous les liens d’une politique commune, par l’identité de leurs vues, par le mélange de leurs drapeaux et de leurs soldats sur les mêmes champs de bataille. Ce n’est pas que l’Angleterre elle-même n’ait aujourd’hui ses difficultés, qui se traduisent en une sorte de malaise public. Le peuple anglais est évidemment encore sous la vive et forte impression des malheurs qui ont décimé son armée. Les événemens ont mis à nu les vices ou les lacunes de l’administration britannique. Il en est résulté ce besoin de faire quelque chose qui a déjà produit l’enquête, mesure par elle-même inutile ou périlleuse. De là aussi une vague anxiété qui semble par momens passer dans le parlement, et qui est de nature à créer plus d’un embarras et plus d’un obstacle au ministère. La mort de l’empereur Nicolas est venue, et les adversaires de la guerre se sont hâtés de saisir cette occasion pour émouvoir l’opinion, pour l’entraîner à des manifestations pacifiques. M. Bright, le partisan de la paix universelle, a renouvelé ses protestations humanitaires dans un meeting à Manchester, et il a été plus écouté, plus applaudi que ne l’avait été M. Cobden, il y a quelque temps, à Leeds. Cela veut-il dire que l’opinion anglaise subisse en ce moment une variation sensible, et qu’elle serait prête aujourd’hui à incliner vers la paix, après avoir trouvé, il y a quelques mois, le gouvernement trop irrésolu et trop tiède ? Cela veut dire, il nous semble, que l’esprit public en Angleterre éprouve un désir intense de se trouver en présence d’une situation plus nettement dessinée, et surtout de voir les désastres récens tourner au profit de sérieuses et profondes réformes. Si le ministère de lord Palmerston met courageusement la main à ces réformes, il sera sans doute suivi par l’opinion, qui ne l’a point abandonné encore. S’il recule devant l’immensité de cette entreprise, qui touche à tous les ressorts de la constitution britannique, ne sera-t-il point dépassé ? Et l’Angleterre alors ne sera-t-elle point précipitée dans des crises nouvelles, plus graves que celles qu’elle a traversées jusqu’ici ? Toujours est-il que le gouvernement anglais s’occupe de réorganiser ses forces militaires, tandis que les armées alliées poursuivent leur campagne en Crimée, sur ce théâtre d’une lutte héroïque, où les soldats de la France sont aujourd’hui de beaucoup plus nombreux que les soldats de la Grande-Bretagne. Les opérations de la Crimée ont été l’objet de bien des commentaires. Il leur était réservé de donner naissance à une brochure qui a paru en Belgique, qui a fait certainement plus de bruit qu’elle ne méritait, et qui a eu cette étrange bonne fortune, qu’un diplomate russe a dépensé dix mille francs pour en transmettre aussitôt une portion par le