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risquerait fort de coiffer sainte Catherine, si elle ne trouvait à propos sur sa route M. de Trélan, qui refuse sans hésiter l’héritage de Roussel. Cependant M. de Trélan aime Caliste, mais il sait par lui-même,-et à ses dépens, comment Roussel s’est enrichi, et ne veut pas échanger son nom contre une fortune achetée par la honte. Caliste sait bon gré à M. de Trélan de son dédain, sans deviner les motifs secrets de sa conduite. M. de Trélan veut partir pour la Perse, afin d’oublier la femme qu’il aime. Roussel, étonné de son refus, jette les yeux sur Balardier, son agent de change, dont la conscience complaisante accepte la fortune sans demander d’où elle vient. Heureusement Caliste rencontre M. de Trélan chez Amélie, une de ses amies, qui a deviné la mutuelle passion des deux amans. Balardier, par une fausse spéculation à la Bourse, trouve moyen de ruiner son futur beau-père, et M. de Trélan épouse Caliste, qui, sans lui dire qu’elle l’aime, laisse échapper quelque! paroles dont le sens n’est pas douteux. Il se sent aimé, et ne songe plus à partir pour la Perse. Tout s’arrange pour le mieux. Cependant les auditeurs attentifs, qui se souvenaient de la donnée primitive exposée au premier acte, se demandaient en sortant comment la ruine de Roussel avait réduit au silence les scrupules de M. de Trélan, car la ruine ne l’a pas réhabilité : riche ou pauvre, il demeure ce qu’il était; qu’il foule sous ses pieds le carreau nu d’une mansarde ou les tapis d’Aubusson, c’est toujours un malhonnête homme. M. de Trélan n’a pas une vertu de fer. Sans cette indulgence inattendue, Caliste pouvait demeurer fille toute sa vie.

J’en ai dit assez pour montrer tout ce qu’il y a de vrai dans la donnée, tout ce qu’il y a d’incomplet dans le développement ou plutôt tout ce qu’il y a d’inconséquent dans la mise en œuvre. Je reconnais volontiers que le personnage de Caliste est traité avec une grâce exquise, et que l’auteur a fait preuve d’une grande finesse d’observation dans l’analyse de ce cœur fier et ingénu; mais ce rare mérite, que je me plais à louer, ne ferme pas mes yeux aux défauts que relèverait un enfant. L’indulgence de M. de Trélan pour le beau-père ruiné dont il méprisait tout à l’heure les millions a de quoi nous surprendre. Puisque M. Augier, fidèle à la définition antique de la comédie, veut châtier les mœurs en riant, nous avons le droit de lui demander où est le châtiment de Roussel. Le père de Caliste s’était enrichi par la ruse et l’improbité, M. de Trélan refusait la main de sa fille pour ne pas salir son blason; il suffit d’un coup de bourse malheureux pour réhabiliter le millionnaire sans vergogne, sans foi ni loi : en vérité c’est trop de complaisance. Si c’est là ce que M. Augier appelle châtier les mœurs, il comprend d’une manière bien incomplète la définition antique de la comédie. Ce n’est pas ainsi que l’entendait Molière.

Ce n’est pas d’ailleurs la seule objection que soulève Ceinture dorée. Le titre même a de quoi nous étonner, car ce titre n’est qu’un débris d’un proverbe populaire : « Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée. » Or ce proverbe rappelle naturellement notre pensée vers les courtisanes de la renaissance, et le personnage principal de la comédie nouvelle est un millionnaire repentant. Le titre n’est donc pas d’accord avec la donnée. Je ne voudrais pas insister sur cette objection; cependant il m’est impossible de la passer sous silence, car il faut appeler les choses par leur nom.

Quant au style de Ceinture dorée, je louerai volontiers l’éclat dont