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l’auteur a su le revêtir; mais je me permettrai de blâmer sans réserve l’importance trop grande qu’il accorde aux détails. Il oublie trop facilement l’effet de l’ensemble pour assortir des images coquettes, pour aiguiser tantôt une épigramme, tantôt un madrigal. Il imite et il rappelle le bel esprit des Fausses Confidences aussi volontiers et plus souvent que la franche allure des Femmes savantes. Les femmes lui pardonnent sans peine ce tribut payé au mauvais goût, car Marivaux, qui a divinisé leurs ruses et leurs faiblesses, n’a pas à leurs yeux une moindre valeur que le poète loyal qui s’est moqué de leurs ridicules; mais les auditeurs éclairés ont le droit de gourmander M. Augier toutes les fois qu’il sacrifie aux faux dieux. Les applaudissemens prodigués aux concetti par les mains les plus blanches et les plus mignonnes ne changent rien aux conditions fondamentales de l’art. Émouvoir, attendrir, égayer, vaudront toujours mieux qu’étonner. Or, si M. Augier nous attendrit et nous égaie quelquefois dans Ceinture dorée, il nous étonne plus souvent encore par la ciselure ingénieuse et patiente des images. Les hommes du métier admirent cet habile maniement du langage, les auditeurs qui n’ont jamais pratiqué l’art d’écrire demeurent froids devant ces prouesses. L’auteur comique peut-il préférer l’approbation des lettrés à l’hilarité, à l’émotion de la foule ? M. Augier a trop d’esprit et de bon sens pour que je ne lui abandonne pas le choix de la réponse.


GUSTAVE PLANCHE.


REVUE LITTÉRAIRE.
Lutèce, par M. Henri Heine.

M. Henri Heine poursuit, à travers les premières années de sa vie littéraire, ce voyage rétrospectif dont les Aveux d’un Poète ont été comme la brillante préface. La Lutèce, dont une édition française est au moment de paraître[1], nous transporte à l’époque où l’auteur des Reisebilder jugeait Paris et les Parisiens à travers tous les enchantemens, toutes les ivresses d’un premier séjour en France. Ce qu’on remarque surtout dans ces lettres, écrites durant la dernière période de la monarchie de juillet, de 1840 à 1848, c’est un singulier mélange de gaieté et d’enthousiasme, de raillerie et de bienveillance, d’observation sérieuse et de fantaisie. Un sentiment sympathique plane d’ailleurs au-dessus de toutes ces appréciations ou plutôt de ces impressions si diverses, au-dessus de ces éloges aiguisés comme des satires et de ces portraits où le caricaturiste remplace trop souvent le peintre. M. Heine aime la France; il a beau ne pas ménager les épigrammes à ses hommes politiques, ni les dures vérités à ses poètes : au fond, il reste attaché sincèrement à notre pays, et il en parle à l’occasion avec cette chaleur pénétrante qui rachète bien des écarts de l’ironie. Il est superflu au reste d’insister sur cette alliance si rare du rire et de l’émotion qui est un des charmes bien connus des écrits de M. Heine. La meilleure manière d’apprécier un humoriste, c’est de le citer, et c’est par quelques citations que nous voulons faire connaître Lutèce. Indiquons d’abord, — Par un passage de l’épître dédicatoire, adressée au prince Puckler-Muskau et placée en tête de ces lettres, — quel est le sujet, quel est le plan du livre.

  1. Chez Michel Lévy, rue Vivienne.