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son agitation se calmer, et après quelques minutes de silence je lui dis : — Ainsi vous fûtes mariée à Edouard, à ce jeune homme dont vous me parlez ?

— Je le crus d’abord, répondit-elle avec un grand effort ; mais j’eus bientôt lieu de supposer que le mariage était faux, et que le prêtre qui nous maria en secret chez Edouard était un de ses compagnons déguisé en ministre. — Et elle s’arrêta de nouveau.

— Puis-je vous demander, dis-je à mon tour, depuis combien de temps ce mariage vrai ou faux a eu lieu ?

— Depuis plus de trois ans. D’abord je fus heureuse, ah ! heureuse au-delà de toute expression. Puis vint le premier aiguillon du remords. Cette première tempête de bonheur apaisée, je sentis que je ne serais plus heureuse, si je ne pouvais avertir ma mère que j’étais mariée, et lorsque notre premier enfant fut venu au monde, je priai Edouard de me permettre d’informer ma mère de notre mariage. Alors pour la première fois je vis Edouard furieux. Je n’oublierai jamais le terrible froncement de sourcils avec lequel il rejeta ma demande et me pria de ne plus lui parler d’une telle chose à l’avenir. Néanmoins quelques jours après je renouvelai ma demande, et alors sa colère ne connut plus de bornes. Il me reprocha ma pauvreté première, me demanda s’il ne m’avait pas élevée à une condition de richesse et de bonheur, et finit en me disant amèrement que nous n’étions pas mariés, et que toute la cérémonie depuis le commencement jusqu’à la fin n’était qu’une mascarade. Je m’évanouis, et lorsque je revins à moi, j’étais dans les bras d’Edouard.

— Grâce à Dieu, ma chérie, vous voilà remise, me dit-il en m’embrassant. Quelle petite créature nerveuse vous faites ! Voyons, faisons entre nous un arrangement. Vous me promettrez de ne plus me parler de ce désagréable sujet, et moi, en retour, je promets à ma bonne petite femme de devancer tous ses désirs et de les satisfaire avant même qu’elle ne les exprime. Est-ce une affaire conclue ?

Je fus vaincue par ses caresses, et j’étais si heureuse de le retrouver aimant comme autrefois, que je fis la promesse qu’il me demandait. Depuis cette époque, nous n’avons plus reparlé de ce triste sujet de discorde.

— Vous n’avez eu qu’un enfant alors ? demandai-je.

— J’en ai eu deux, docteur ; le premier était un enfant mort-né ; le second mourut après avoir vécu quelques semaines, et je suis sur le point de devenir mère pour la troisième fois.

— Votre mari est-il ici ?

— Non. Edouard est en Californie et ne reviendra peut-être pas avant un an. Ne connaissant pas le médecin qui m’avait assisté dans mes couches précédentes, et craignant la colère d’Edouard, si je me