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avec une vieille femme qui me parut une des surveillantes de l’établissement. J’épiai le moment où elle était seule, et alors, m’avançant vers elle et caché par la haie, je dis assez haut pour être entendu : Je suis le docteur ***.

Elle tressaillit comme si elle eût été frappée d’un coup de foudre, et s’écria : — Grands dieux, mes prières ont donc enfin été entendues !

Je pus alors contempler les traits de l’inconnue, et quelle ne fut pas ma surprise en reconnaissant en elle une des élégantes les plus admirées de l’Union ! — Est-il possible, miss T… ! m’écriai-je.

— Oh ! ne m’appelez plus miss T…, dit-elle en fondant en larmes. J’ai déshonoré ce nom.

— Calmez-vous, lui dis-je, l’action est nécessaire maintenant, et les larmes sont inutiles. Racontez-moi brièvement comment vous avez été enfermée dans cette prison. Et elle me fit le récit suivant.

« Le jour même où j’avais écrit à la mère de mistress Mason que sa fille désirait avoir une entrevue avec elle, P…, mon infâme séducteur, arriva subitement de Californie et nous ordonna de partir aussitôt, en nous disant que Mason nous attendait dans un petit village de la Pensylvanie, n’osant revenir à New-York à cause des accusations de vol qui avaient été injustement lancées contre lui, et qui l’avaient forcé de s’enfuir en Californie. Nous partîmes, et lorsque le soir fut arrivé, nous nous arrêtâmes dans une petite auberge sur la route. Pendant la nuit, il me sembla entendre du bruit dans la chambre de mistress Mason. Je réveillai P…, qui me rassura, alluma une bougie, s’assit en fumant près de la fenêtre et regardant attentivement du côté de la route. Le lendemain, lorsque je me réveillai, P… était déjà levé. Lorsque je cherchai mes diamans, je m’aperçus qu’ils avaient disparu, et je les demandai à P…, qui me répondit que par mesure de précaution il les avait enfermés dans sa valise. À demi rassurée, je demandai des nouvelles de mistress Mason, et j’appris, à mon grand étonnement, qu’elle était partie dans la nuit avec son époux. Je soupçonnai quelque chose d’affreux, et je manifestai hautement mes craintes à P…, qui, se levant, me saisit brutalement à la gorge en me disant que je mériterais d’être traitée comme mistress Mason et son enfant l’avaient été. À peine eut-il prononcé ces paroles, qu’il parut s’en repentir. Il resta silencieux quelque temps, et enfin il me dit brusquement : « Adèle, voulez-vous me donner, comme à votre légitime époux, tous les biens que vous possédez et venir avec moi en Europe ? — Non, répondis-je hardiment. Non, quand bien même vous devriez me tuer, comme vous avez tué mistress Mason et son enfant. » En entendant ces