Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont ces vices chez les différens peuples, quel est leur degré de puissance, quelles sont leurs allures diverses, nous ne le savons pas. Cette échelle des vices, cette statistique du laid moral ne pourrait être établie que par des hommes voués par profession à l’observation du mal, — des magistrats, des médecins, des prêtres. Ce serait une entreprise originale qui nous en apprendrait long sur la misère de l’homme.

Ces Souvenirs d’un vieux médecin, par exemple, confirment quelques-unes des observations que les publicistes et les voyageurs ont déjà faites sur l’Amérique. Si un médecin européen, français, allemand, anglais, écrivait ses souvenirs, il y a fort à parier que les épisodes les plus émouvans de son récit seraient des scènes de la vie du pauvre, et que la misère, le dénûment, la détresse matérielle en un mot, y tiendraient la première place. Le médecin yankee semble ignorer à peu près ce que c’est que la misère à l’européenne. Heureux pays direz-vous, que cette Amérique, dont les nombreuses populations ne connaissent pas le besoin, où les tourmens de la faim sont ignorés, où chaque individu a un toit pour mettre sa tête à l’abri ! Heureux pays aussi, où l’éducation est tellement répandue, que l’ignorance, cette source féconde du crime, y est inconnue ! Heureux pays, en effet ! répondrons-nous. Voici un livre qui roule tout entier sur les douleurs de la vie humaine, et, de toutes les scènes qu’il raconte, il n’y en a aucune qui se rapporte directement à cette lèpre honteuse qui déshonore nos vieilles civilisations. Il y a quelques exemples de dénûment, mais ce dénûment a presque toujours une cause étrangère aux causes qui l’engendrent parmi nous. Attendez quelques siècles cependant : ces Américains, qui ne connaissent pas la misère, ont toutes les passions qui peu à peu doivent lui donner naissance, — l’imprévoyance, l’amour insensé du luxe, la confiance au hasard. Pour le moment, ils en sont exempts, et ils n’ont pour se rendre malheureux que les passions éternelles du cœur humain, ce qui, Dieu merci, est bien suffisant, comme nous le démontrent ces Souvenirs.

Ces passions éternelles et indéracinables, la prodigalité, l’avarice, l’amour, l’intempérance, ont toutes dans ce livre un même résultat, la folie. La folie semble exercer plus de ravages en Amérique que dans aucun autre pays du monde, les voyageurs le constatent, et les récits de notre médecin confirment leurs observations. Les meetings religieux, les prédications, les pratiques du culte, les prophéties des sectaires, font plus d’insensés dans la seule Amérique que dans le reste de l’univers. Les épidémies morales qui passent de temps en temps sur les peuples exercent leurs ravages en Amérique